Street views

Guy GOFFETTE, Paris à ma porte, Gallimard, 2023, 67 p., 14 € / ePub : 9,99 €, ISBN : 978-2-07-302101-4

Qu’importe le temps quand on aime
Voilà pourquoi je me promène

goffette paris a ma porteLors de son entrée, en anthologie, dans la belle collection Espace Nord (L’oiseau de craie, février 2023), Guy Goffette donnait, à titre d’inédits, une poignée de poèmes ludiques et urbains sous le nom de Paris à ma porte. De quoi éveiller la curiosité d’une Belgique chez qui s’invitaient pour l’occasion, et en exclusivité, les venelles du Ier arrondissement de Paris. Le privilège de cet échantillon devait être de courte durée, et le client fidèle peut aujourd’hui redécouvrir ces textes prometteurs dans leur milieu naturel, entourés de leurs semblables, sous l’indémodable couverture blanche de Gallimard.

Je connais mon quartier comme hier mon village
Chacune de ses rues, ses bistrots, ses boutiques,
Et la voix des voisins dans le noir, leurs visages,
Ce que disent les yeux, ce que chacun fabrique.

Entre fenêtre sur cour et piéton de Paris, les soixante pages de Paris à ma porte plantent le décor d’une scène que Guy Goffette connaît trop bien. À la manière dont habiter un lieu familier revient à habiter sa propre idée de ce lieu, le poète nous invite à un tour du propriétaire dans son quartier depuis vingt ans, le Ier arrondissement de Paris, privatisé pour l’occasion. Immeubles, passants, voisins, pages d’histoire ou de littérature habillent la fantaisie de l’auteur que ses habitués reconnaîtront au vol. C’est d’ailleurs sans surprise que les voisins s’y trouvent être le plus souvent des voisines et les passants, des passantes.

Je me revois en bas
À croquer dans la rue
Le grand palais des glaces
(Nos Halles number two)
Quand une blonde apache
Troubla du tout au tout
L’air mon feutre ma vue

Sous le chapeau du lyrisme et les lunettes de la bagatelle, Paris se visite ici à hauteur d’homme. Au rendez-vous, de nombreuses anecdotes et quelques fantômes. À commencer par les noms de rues, où l’on apprend que celle de la « Cossonnerie » fut auparavant « Cochonnerie », ou que celle dite du « Pélican » doit ses promesses de voyage à un autrefois moins exotique « Poil-au-Con ». Quelques instantanés, vues de l’esprit ou descriptifs, portent la marque des grands écrivains en ce cœur de Paris — « au Ventre dit Zola » —, qui invite à « chercher tribune » place André-Malraux, ou « trace d’Aragon » rue de la Sourdière.

Je pense à toi Ulysse à ton coup de balai
Parmi les prétendants assis devant ta porte
Quand voulant traverser la place Du-Bellay
Encombrée de badauds j’enrage et je m’emporte

De cette poésie flâneuse, documentaire, touristique, le premier fantôme demeure naturellement son instigateur. Les histoires personnelles de Guy Goffette remplissent partout l’espace de leur expression savoureuse, dont l’honnêteté le porte jusqu’à y semer sa propre adresse. En quelques vers impeccables, Guy Goffette projette sur les murs de Paris son portrait de visiteur autrefois, de citadin aujourd’hui, et donne la légèreté d’un feuillet de poche à un livre qui est de ceux que l’on met cinquante ans à écrire.

On est rentrés tous deux marris
de n’avoir pu toucher la lune
et nous avions suivi nos ombres
avec la pluie sur la chaussée

où folâtraient pour nous narguer
les jambes roses des néons
Heureusement nous avions bu
jusqu’à la dernière illusion

Coquetterie architecturale ou principe organisateur : chaque section et la plupart des textes de Paris à ma porte portent pour titre le nom du lieu — souvent de rue — qui les héberge. Une poésie géo-localisée qui voit le lecteur propulsé avec délicatesse dans ce décor aux murs calcaires, à la fois blason et hommage, aux deux grands corps que sont la ville et la mémoire. Quelques pages d’exception élèvent l’ensemble de ce recueil narratif très personnel, unique en son genre et qui a tout d’une belle invitation.

Antoine Labye

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