Cinquante-six danses avec le maelström

COLLECTIF, 56 Descentes dans le maelstrÖm, maelstrÖm Reevolution, 2023, 306 p., 18 €, ISBN : 978-2-87505-460-9

collectif 56 descentes dans le maelstromPoint d’ombilic de la naissance du projet maelstrÖm, la nouvelle d’Edgar Allan Poe, Une descente dans le Maelstrom se voit recréée, réinterrogée, prolongée par le texte, l’image ou le dessin. Cinquante-cinq artistes (de Belgique, de France, d’Italie, du Liban, du Congo-Zaïre, d’autres pays) descendent dans le vortex textuel d’Edgar Allan Poe. Un arc de cercle relie trois espaces : le texte de Poe publié en 1841, l’aventure éditoriale frayée par David Giannoni en 1987 avec la création de la revue MaelstrÖm et la nouvelle vague produite à l’occasion des trente-trois ans de l’aventure du projet maelstrÖm.  C’est cette nouvelle vague générée par un texte aux vibrantes ondes de choc que le recueil collectif nous offre. 56 Descentes dans le maelstrÖm s’ouvre sur la nouvelle de Poe, laquelle décrit le récit d’un des trois frères ayant survécu au maelström de Mokstraumen.

Les mécanismes physiques complexes qui donnent lieu à la formation de tourbillons marins sont au principe de la manière dont les créateurs s’approprient le texte de Poe. Si certains auteurs, certains artistes choisissent d’affronter le cœur de l’entonnoir, d’autres préfèrent s’accrocher aux parois liquides. Ceux et celles qui optent pour un plongeon dans le trou noir se tiennent parfois au plus près de l’histoire des trois frères tandis que d’autres explorent des naufrages personnels, des vortex psychiques ou mettent en fiction leur appétence pour les zones de risque. Sous la forme de poèmes, de nouvelles, de textes en prose, de photographies, de collages, Gioia Kayaga, Laurence Vielle, Karel Logist, Lisette Lombé, Jean Claude Bologne, Daniel De Bruycker, Serge Pey, Camille Pier, Vincent Tholomé, Jérémie Tholomé, Carl Norac, Juliette Bensimhon, Laura Schlichter, David Giannoni, Otto Ganz, Gauthier Keyaerts, Simona Petitto, Nadejda, Hortense Raynal, Claude Donnay, Bruno Geneste, Luc Baba, Chantal Deltenre, Caroline Boulord, Tom Nisse, Marie Darah, Ritta Baddoura,  et tant d’autres se réapproprient un texte qui met la question de la survie au cœur de son dispositif.

Si Rose-Marie François choisit d’adresser une lettre à l’auteur des Histoires extraordinaires, du Corbeau, Jonathan Carrier une missive au « Cher Maelström », si Patrick Lowie nous offre un portrait onirique de Charles Baudelaire en tant que traducteur de nombres d’œuvre de Poe, si Carole-Anne Subrebost nous offre une bande dessinée, Gwénnaëlle La Rosa un dessin, d’autres voix privilégient tantôt une proximité dans le fond, tantôt dans la forme de textes cycloniques ou spumeux. L’impressionnante lettre du maelstrÖm humain rédigée par Gioia Kayaga s’emporte dans une écriture sauvage qui refuse de pactiser avec l’esprit de la raison, des limites : elle se tient résolument du côté de l’orage, de la foudre, de l’extrême, de la désobéissance civile et textuelle. La fascination ou l’attraction irrésistible pour les forces obscures, pour les maelströms qui chavirent l’existence, l’impossibilité d’échapper à leurs puissances dévastatrices éclatent dans les textes d’Hortense Raynal, de Juliette Bensimhon, de Laura Schlichter. Dans le texte poétique de Camille Pier, descendre dans le maelström, c’est chercher Alf, un des alter egos, un personnage intérieur, une peluche aussi, abandonnée depuis trente ans dans la cave des parents. Chez Catherine Serre, approcher l’énigme mortelle du maelström, c’est ausculter la chute, pour Dirk Diederich, c’est se pencher sur la mémoire de l’eau, pour Lisette Lombé, écouter l’avant, la vulnérabilité de l’enfance, les désirs de mort, les pulsions de vie, pour Ludivine Joinnot, conjoindre la plongée en apnée et une œuvre de Philip Glass, pour Vincent Tholomé embraser la question de la possibilité de l’existence, sachant que qui dit existence dit aussi noyade, naufrage, chiennerie de l’informe, manuel de survie.

Véronique Bergen