Jacques LACOMBLEZ, Que l’aube. Poèmes, Quadri, 2023, 48 p., 25 €, D/2023/9526/1
Les dangers des armes guettent, la terre menacée s’embrase, l’eau déferle, ne s’écarte ni des campagnes, ni des forêts, ni des habitations. De quelles guirlandes de quiétude ou d’ivresse pourront se parer encore ces temps si mal éclairés ? Que seront les aubes de demain ? Peut-être ne restera-t-il que ce mot, l’aube, et ce que nous en auront dit les écrits de ceux qui en connurent d’autres. Avec la prise de distance, et le recul que procure le passage des ans.
Ainsi peut-on lire les poèmes brefs de Que l’aube, dernier recueil en date de Jacques Lacomblez. On n’y trouvera guère de points de repères ou d’orientations si on les met en regard des violences et des intrigues qui envahissent de toute part nos vies quotidiennes. Mais c’est là une force : les mots du poème ont cette capacité de n’être dans le meilleur des cas ni parole bavarde, ni message engagé, mais simplement ce que Philippe Jaccottet nommait « une rumeur qui n’en est pas une, un peu au-dessus du sol, un peu plus haut que la tête, ce qui ne fait aucun bruit, même quand le vent se met à souffler. »
Avec Que l’aube, Jacques Lacomblez dessine sa cosmogonie personnelle, en dehors de toute temporalité de circonstance. Le passage des ans n’épargne personne, pas même lui bien sûr :
L’heure coule à pic dans ce que fut l’instant
Mais ce serait abdiquer, pour le peintre-poète-dessinateur qu’est Lacomblez – né à Bruxelles en 1934 et protagoniste du groupe surréaliste « Phases » d’Edouard Jaguer fin des années 1950, puis, notamment, éditeur de la revue Edda (1958-1964) – que de se laisser marquer au fer rouge par ce qui fait
Du passé ce si frêle aujourd’hui
En une quarantaine de pages, où les mots se dispersent sur la page ou dessinent au contraire une cartographie élégiaque, formée de quatre sections – Lointain ultime, La boucle d’aube, Sept sonatines de saison, Idylle pour quelques pas – Lacomblez donne sa méthode, si peu contraignante néanmoins, pour franchir le seuil des douleurs du temps et mieux retrouver la proximité des corps, « la clairière du cœur », la sensualité physique d’une vision, d’un toucher, d’une sonorité qui offre aux lecteurs et lectrices, au choix,
« Ce frôlement de meute dans les fougères
Mêlé aux murmures de vains coupe-feu »
« Une cerise
d’Alexandre Pouchkine »
ou encore
Tant de caresses de sable bleu
Parfois, on s’étonne de l’emploi récurrent, presqu’emphatique et désuet, de la majuscule pour désigner la Vue, le Temps, le Monde, la Nuit, le Présent, la Rose, le Croissant… Mais ce serait oublier la longue fréquentation du poète avec ce qui touche au langage de l’alchimie, à la symbolique des tarots, et à une forme d’écriture qui lui vient de son attrait pour certains romantiques allemands. Le poème chez Lacomblez tient en haute estime le blason féminin, et l’on y trouvera encore un écho aux écrits d’André Breton ou d’Isidore Ducasse
Belle comme la cape de lune
Qui s’effrange aux dents du jour
Infini Présent des roses à venir
Ainsi pourrait-on composer pour soi, en droite ligne du cadavre exquis et sans fausse naïveté, son propre poème, où l’on agencerait, sous une forme éphémère, les sensations d’une lecture qui mérite qu’on s’y attarde, comme on essuie du doigt une larme sur une joue, qu’on réveille une pensée présente et fugace, et dire avec Lacomblez
J’habite une saison décousue
Alain Delaunois