Amours interdites

Brigitte MOREAU, Le diable se moque bien des histoires d’amour, F Deville, coll. « Œuvres au rouge », 2023, 200 p., 20 €, ISBN : 9782875990761

moreau le diable se moque bien des histoires d'amourD’un côté, il y a les Supérieurs ; de l’autre, les Inférieurs. Bien entendu, les deux ne se fréquentent pas, ne se mélangent pas, ne se croisent presque pas. Au sein de la première caste existe une hiérarchie se basant sur le Pédigrée des individus, se définissant lui-même par la somme de leurs quotients intellectuel, beauté, professionnel, richesse et avenir. Cette valeur précisément mesurée, qui peut varier selon les aléas de la vie, permet d’unir, sur une base rationnelle et objective, les meilleurs éléments entre eux. Ainsi, lors d’une cérémonie diligentée par des hommes de loi, les pères, ayant préalablement amassé une dot, négocient le mariage de leurs filles, tandis que ces dernières attendent patiemment dans une salle que leur sort soit scellé.

Après cette transaction nuptiale, les jeunes gens ont deux ans pour procréer, sous peine de dissolution de l’union et de répétition de la procédure. Un négoce éclipsant tout romantisme. Et c’est ce qui révolte Mia, femme « frondeuse aux idées bien arrêtées et qui n’[a] pas peur de se confronter aux hommes » : amoureuse de Clément, elle refuse de se voir attribuée à ce Raphaël qu’elle ne connaît ni d’Ève ni d’Adam. Pourquoi devrait-elle se plier à ce diktat absurde de la société ? Pourquoi accepter que son promis de cœur convole avec cette prétentieuse Victoire ? Raphaël, malgré ses trésors de patience et de compréhension, éprouve du décontenancement et un léger agacement devant l’attitude farouche de Mia. Peut-être que la dame qu’il a engagée pour la seconder dans ses tâches de maîtresse de maison, la délicate et subtile Ève, parviendra à remettre un peu d’harmonie dans la maisonnée…

La dystopie proposée par Brigitte Moreau donne froid dans le dos. Dans le monde que l’autrice a créé, « l’État fournissant profession et habitation, tout ce qu’Il leur demande en retour, c’est de faire honneur à la note qui leur a été attribuée et de fonder une famille pour que les futures générations de Supérieurs puissent un jour prendre le relais ». Sous des dehors agréables, confortables et rassurants même, la machine autoritaire régente absolument tout, trace les destinées et étouffe les velléités personnelles. Certains s’en réjouissent, d’autres s’en accommodent, quelques-uns se cabrent ; tout dépend de la naissance, des privilèges, du caractère et des sentiments. Reste à découvrir comment se comporteront Mia, Raphaël, Clément et Ève, quatre personnalités différentes jointes dans un destin commun. Le diable se moque bien des histoires d’amour est un roman qui se lit d’une traite, qui pointe les mécanismes insidieux des sociétés, qui pousse à l’extrême des logiques inquiétantes et force ainsi à demeurer alertes.

Samia Hammami

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