Ode à la rencontre

Jacqueline CALEMBERT, La maison du frère, Academia, 2023, 146 p., 15 € / ePub : 10,99 €, ISBN : 978-2-8061-3247-5

calembert la maison du frereLe récit de Jacqueline Calembert nous fait découvrir la vie de Clémence, une femme mûre qui s’apprête à aller se reposer une quinzaine de jours dans la maison de son frère non loin des Hautes Alpes. Suite au désistement de sa fille, Clémence propose à ses collègues de l’accompagner et elle découvre avec surprise que le jeune et énigmatique Laszlo se propose de faire route avec elle.

Arrivés à destination, les deux collègues sont au début sur leurs gardes et échangent des banalités sur leur quotidien. Une chute malencontreuse de Clémence dans les escaliers va les obliger à sortir de leur protection prudente et à prendre soin l’un de l’autre, autorisant le tissage d’une relation qui va au-delà des apparences.

Durant sa convalescence, Clémence est tourmentée par l’angoisse de faire une nouvelle chute inexpliquée, ce qui l’inquiète d’autant plus qu’elle connaît très bien la maison où elle séjourne (« Les images reviennent au galop. L’escalier est devenu un endroit de peur, irraisonnée, je le sais, néanmoins, elle s’insinue à travers toutes les fibres de mon corps douloureux »). De son côté, Laszlo laisse entrevoir des tourments à travers ses silences. Quand il se sent prêt, il avoue à Clémence qu’il connaît bien la région et qu’il n’est pas revenu là par hasard. Il y a en effet vécu une expérience fondatrice dans son enfance et il a besoin de revenir sur les traces d’un homme qui a croisé son chemin et changé sa vie. Clémence s’efface alors pour laisser la place à la blessure de Laszlo et le soutenir dans sa quête de retrouvailles, alors qu’il est tiraillé par sa peur de confronter ses souvenirs d’enfance à la réalité.

La maison du frère est un récit intimiste court qui nous offre le point de vue des deux personnages pour laisser transparaître la problématique de chacun avec humanité. Jacqueline Calembert y illustre la célèbre citation de Victor Hugo, qui rappelle qu’une rencontre en apparence anodine peut changer le cours d’une vie, être le levier nécessaire pour se relever et ne pas basculer dans le vide (« Et puis, il y a ceux que l’on croise, que l’on connaît à peine, qui vous disent un mot, une phrase, vous accordent une minute, une demi-heure et changent le cours de votre vie »).

Cette rencontre dans le passé entre le Laszlo enfant et un géant roux, scellée par un beau rituel, nous montre à quel point il faut peu de choses, un simple regard, une conversation emplie d’humanité, pour montrer à l’autre qu’il existe, même si ses origines lui donnent une impression d’illégitimité. Quand un regard rieur et bienveillant se pose sur celui qui doute, c’est tout un monde de rêves et de lumière qui se déploie, c’est une possibilité de naître à soi en conscience. Que va découvrir Laszlo une vingtaine d’années plus tard ?

Tu vois, petit gars, devant cette vue, je n’ai pas de mot pour exprimer ce que je ressens tellement c’est beau, tellement c’est grand. Devant ta tristesse non plus, je n’ai pas de mot. Elle est juste, elle est grande. Autant hier, je pouvais te parler, autant ce matin, je suis sans mots. Alors, si tu es d’accord, on va se taire quelques instants. Pour partager le laid qui est dans ton cœur et le beau devant nous.

Séverine Radoux