Bernard TIRTIAUX, Belgiques, Ker, coll. « Belgiques », 2023, 12 € / ePub : 6,99 €, ISBN : 978-2-87586-441-3
Au fil des saisons la collection Belgiques des éditions Ker étend sa toile parmi les auteurs belges francophones. Les recueils s’articulent sur une formule ouverte : « des paysages, des ambiances des traditions, de la politique, des amours, des langues, des souvenirs ancrés dans l’enfance ». Bernard Tirtiaux s’est prêté au jeu, lui qui nous a jusqu’ici donné des fictions dans lesquelles il ne se mettait pas directement en scène, alors que nombre de ses collègues pratiquent volontiers l’autofiction.
D’emblée, il inscrit sa propre histoire dans le lieu et la région où il est né, a vécu et vit : la ferme de Martinrou, proche de Charleroi. Une ambiance rurale à deux pas de l’industrie lourde, d’une ville dont il est fier alors qu’elle se bat pour repousser une image négative. Il lui suffit donc d’ouvrir les yeux pour faire resurgir le passé et défiler les souvenirs. S’animent pour nous des moments d’enfance vibrants d’émotions inédites, des amitiés, des amourettes, des regrets et des remords tapis sous la cendre, ces petits trésors intimes qui sommeillent dans les tiroirs entre deux billes de verre et un morceau de tissu dont on connaît seul l’histoire. Fils d’une famille d’agriculteurs et éleveurs de chevaux, il a repris la ferme familiale et y a installé sa maison, un atelier et un théâtre. À rester vivre là où on est né, on augmente les chances de croiser ceux que l’on a fréquentés enfant, de suivre leur destinée, de partager leurs joies et leurs malheurs. Et l’on est aussi pour les autres le fils d’une famille connue, le réceptacle des récits de moments partagés, des querelles persistantes et des pardons tardifs. Des éclats de vie qu’il nous murmure dans un registre intime qui résonne juste :
Il y avait de la transparence dans l’air, une limpidité d’eau claire dans le regard de mon hôtesse. Je souriais d’émotion en pensant aux chemins tortueux que les hommes empruntent pour se recouper et ne pas se croiser. Je souriais à la fragilité de cristal qu’est notre destinée.
Artiste multiple, Bernard Tirtiaux est maître verrier, comédien et écrivain. Dès son plus jeune âge, il a été fasciné par les artisans qu’il évoque avec chaleur, par le savoir de leurs gestes qui donnent forme aux projets rêvés, par la connaissance des matières et leur apprivoisement progressif. Et puis par la transmission de tout ce savoir-faire aux autres dans le compagnonnage fraternel. Il nous parle plus avant des rencontres et des étapes qui ont fait de lui un verrier reconnu, compositeur de vitraux fasciné par la lumière, de ses recherches continues pour perfectionner son art. Chaque commande est l’occasion de rencontres, de conception d’une œuvre articulée à une histoire et à la volonté de la mettre en scène pour le regard de tous. Et l’on mesure à la faveur de ce recueil que dans cette démarche, l’écrivain et le maitre verrier ne font qu’un, passeurs de mots et de lumière, déclinant le récit dans leurs arts respectifs.
Thierry Detienne