Roger Foulon aux frontières du fantastique belge

Roger FOULON, Les Lambis et autres contes fantastiques, Académie Royale de langue et de littérature françaises de Belgique, 2023, 142 p., 17 €, ISBN : 978-2-8032-0073-3

foulon les lambis et autres contes fantastiquesDisparu en 2008, Roger Foulon fait partie de ces auteurs qui semblent avoir embrassé à travers leur vie toutes les possibilités qu’offre la littérature. Imprimeur, éditeur, romancier, poète, essayiste, académicien… ce touche-à-tout laisse derrière lui une œuvre diversifiée et abondante, plus de 120 titres.

Figure importante de la littérature régionaliste, Roger Foulon n’a cessé d’arpenter la Fagne qui lui a inspiré une part considérable de sa poésie comme de ses fictions. Au milieu de cette production se cache un pan méconnu de son œuvre, assurément discret mais cependant important, qu’il travaille tout au long de sa carrière : le fantastique. En témoigne le recueil Les jardins de Giverny paru chez Luce Wilquin en 2007 et qui constitue l’une de ses toutes dernières publications. S’y lisait alors un fantastique léger ancré dans la nature et dans l’art. Ce volume ne constituait pas son coup d’essai puisque dès les années 1970, il signait une série de « contes fantastiques » publiés dans la revue littéraire qu’il avait créée, Le Spantole, puis rassemblés dans un recueil à très petit tirage au mitan des années 1980. Ce sont ces textes et ce recueil que nous donnent à lire aujourd’hui les éditions de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique. Un volume hommage à l’un de ses anciens membre et une excellente occasion de découvrir un de nos « écrivains de l’étrange » pour reprendre l’heureuse formule popularisée par Jean-Baptiste Baronian, à l’initiative de cette  réédition.

Globalement plus proches de la retenue propre au fantastique réel d’un Franz Hellens que de l’exubérance d’un Jean Ray ou de l’ironie mordante d’un Thomas Owen, les contes fantastiques de Roger Foulon témoignent de son attachement à son territoire et s’ancrent avant tout dans un quotidien rythmé par la régularité : celle des saisons, du folklore, de la tradition mais aussi du confort des gestes cent fois répétés. L’auteur sait parfaitement saisir en quelques lignes l’incongruité de ce qui y surgit et y bouscule les habitudes bien établies. La promenade quotidienne dans la forêt d’à côté (Le Calvaire), les semailles d’automne (L’épouvantail), la fête de Noël (Les rois mages) ou encore le Grand Feu (Le Grand Feu), plus qu’un décor, constituent les motifs même du basculement surnaturel. Dans ces espaces de vieux clochers, de bois séculaires, de hameaux paysans ou de villes endormies, le décor se fait presque cadre de conte ; et de conte cruel la plupart du temps. Car les récits contiennent leur lot d’horreur et de violences : violence exercée à l’encontre de l’étranger, sujet de méfiance et de rejet, ou à l’encontre de la femme, figure fantasmatique et souvent réifiée ; tous deux victimes des passions tristes des hommes que l’auteur met en scène systématiquement. Une immoralité poussée parfois jusqu’aux extrêmes limites des comportements humains et relevant de ce que l’on appellerait aujourd’hui une masculinité toxique (L’inaccessible).

Très soigneux dans la construction de ses récits, vouant une passion certaine pour les sonorités exotiques des mots rares, comme ce Lambis qui donne son titre au recueil, Roger Foulon fait preuve d’une remarquable maîtrise des codes classiques de la littérature fantastique. Si cet aspect de son œuvre a longtemps vécu à l’ombre, peut-être envahissante, de prestigieux coreligionnaires comme Ray ou Owen, la réédition proposée ici est une excellente occasion de découvrir une voix méconnue du fantastique belge.  

Nicolas Stetenfeld

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