Sous des tesselles de pensée…

Vincent POTH, Aléas sans amarres ou Livre de pensées, Taillis Pré, 2023, 160 p., 18 €, ISBN : 978-2-87450-213-2

poth aleas sans amarreEn plaçant d’emblée en exergue de son texte les citations de deux Georges, Perros et Bataille, Vincent Poth donne le ton de son nouveau recueil, Aléas sans amarres publié, comme le précédent, au Taillis Pré. C’est en quelque sorte entre les silences de Perros et les vertiges de Bataille que se noue le propos des aphorismes rassemblés ici. Car il s’agit bien d’une écriture aphoristique qui, comme le souligne Véronique Bergen dans la préface, oscille entre poésie et philosophie. Lauréat du Prix Découverte 2022 de l’Académie Royale de langue et littérature françaises de Belgique, Vincent Poth parvient à faire jaillir, par la fulgurance de ses formules, le miracle des jours ordinaires. Toujours selon la préfacière, « les jeux sur les tremblements de la pensée et de la langue se penchent sur l’amour, le désir, l’activité de l’esprit, le temps, l’identité, la transcendance. » Le tout pétri dans une langue presque pure. Car c’est bien ce « presque » que l’auteur assume et revendique. Une pensée en éclat, pensée-dynamite dont l’aphorisme serait la mèche prête à accueillir l’étincelle. Une pensée qui, pour être tranchante, se doit d’interroger le doute et la contradiction.

C’est bien là le sens de la phrase de Perros,

Pour qu’un penseur soit intéressant, il faut qu’il ne puisse pas penser jusqu’au bout. Car il n’y a pas de bout. Il y a un charme. 

Par ces « assertions du peut-être », l’auteur poursuit en parallèle une réflexion sur la forme courte de l’aphorisme, sur l’écriture en général.

« Éloge de l’aphorisme : l’éclat de l’étincelle oblige une lumière, tandis que l’œuvre qui s’étale dilue mollement l’obscurité. »

« Je rêve d’une littérature indomptée, giflant ici et là – au hasard et sans haine. »

Telle une flèche décochée par un bretteur, cette dernière « gifle » aphoristique fait une nouvelle fois écho à l’auteur des Papiers collés quand il écrit :

Les hommes, comme la plupart des animaux, préfèrent la cage à la jungle. Il n’est pas nécessaire de les dompter. Ils ne demandent pas mieux, uniquement pour pouvoir, une fois enfermés, hurler de détresse, souhaiter la liberté. 

Salutairement fragmentaire, la pensée s’électrise dans ses paradoxes et ses incertitudes. Si on pense inévitablement au Monsieur Teste de Valéry, dont Perros d’ailleurs était un lecteur assidu, lorsque l’on déambule dans les pages du recueil, l’esprit ici n’est pas qu’une tête bien pleine. Soumis au caprices des aléas, il est relié au reste du corps par toutes les nuances de la contradiction que ce dernier suppose. Et s’il n’y avait qu’une seule amarre peut-être, ce serait celle de l’incarnat du sensible et la chaleur des émotions.

Je rêve d’un livre de poèmes, qu’on ne pourrait saisir sans se brûler les doigts. 

Rony Demaeseneer