« Mes intentions sont pures, prenez garde ! »

Un coup de cœur du Carnet

Marcel HAVRENNE, Œuvres complètes, Édition et introduction par Gérald Purnelle, Taillis Pré, coll. « Ha ! », 2023, 306 p., 25 €, ISBN : 978-2-87450-217-0

havrenne oeuvres completesLes surréalistes belges auraient-ils tous le même visage ? Des bonnes joues, souvent la lippe, et très présente, la tête, massive et montée sur un corps qui compte moins. Des modèles pour photomatons. De grosses lunettes cerclées qui leur font ce regard d’enfant du malaise, pas perçant pour un sou. Des têtes de premiers de classe devenus fonctionnaires ternes, assis appointés. En costard cravate même en vacances ; surtout en vacances. Même chevelus, on les dirait chauves. Et en matière de sourire énigmatique, ils en remontreraient à Mona Lisa.

L’entrée en matière n’est pas flatteuse, certes, mais elle repose sur un constat des plus solides (puisqu’il n’est qu’empirique) : être surréaliste en Belgique n’est pas affaire de posture ou de pose. Le surréaliste belge n’a ni la rage d’apparaître ni la fièvre de paraître. Et si son œuvre est rare, ce n’est pas par élitisme ; mais par délicatesse, par discrétion. Marcel Havrenne est un spécimen particulièrement représentatif d’un tel éthos.

Né en 1912 à Jumet. Comme combien d’écrivains belges ayant grandi dans un milieu populaire, il a failli être diplômé en droit de l’ULB. Durant la guerre, il est captif. Après aussi, de l’INAMI, qui l’« emploie ». Il meurt à 45 ans, durant cette année 1957 dont personne n’a rien retenu. Une non-biographie à rendre Maurice Blanchot, Thomas Pynchon ou Franz Kafka verts de jalousie.

Deux cents pages suffisent à receler ce que l’on hésiterait à qualifier de « son œuvre ». Pourtant elle existe, et avec quelle densité. Des aphorismes en veux-tu, des sentences en voilà, ah, ici deux pages en prose… pour parler des autres. Jamais de lui, ça va de soi.

« Encore un poète du bref ? Comme Scutenaire, comme Nougé ? Déjà lu ! Au suivant ! » Non. Bien sûr, les ressorts rhétoriques, les figures de style peuvent se comparer, et Gérald Purnelle, en maestro des tropes, l’explique parfaitement, quand il situe Havrenne dans la constellation des individualités surréalistes contemporaines. Ce qui fait la différence, c’est le ton. La formule havrennienne (osons le doter de son adjectif) n’est pas là pour détoner, fulgurer, cingler. Elle porte une sagesse – ce qui est bien souvent l’envers de la morale – douce-amère mais mûrie. Elle est sincère. Elle est juste. Elle est, juste.

Car Havrenne nous parle à nous, humains du 21e siècle numérisé, virtualisé, artificialisé. « Entre le mensonge et la vérité, il y a la place pour toute une vie », nous rappelle-t-il, à nous qui sommes obsédés par le balancement permanent entre ces deux pôles. Ses amphibologies, ses contrepets, ses antiphrases, ses oxymores à dimension phrastique, sont autant de saines ripostes aux injonctions paradoxales qui minent nos esprits.

Rien de dur ni de cruel chez Havrenne, qui invente la bonté gratuite. Ce qui n’empêche jamais la fermeté : « Je ne voudrais pas être le miroir de mes ennemis ». La profondeur abyssale : « Le chimiste qui rêve réinvente l’alchimie ». La désarmante lucidité : « Quand on n’a plus que sa main pour cache-sexe, il faut préférer l’impudeur ».

Cassé, Marc-Aurèle. Enterré, Chamfort. Obsolètes, le Tao ou Khalil Gibran. Ouvrez ce livre une fois par jour, puisez, et vous verrez, « Hélas ce sera très beau ».

Frédéric Saenen

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