Le petit garçon qui tourne en rond dans sa tête

Un coup de cœur du Carnet

Monique BERNIER, Hugo, M.E.O., 2024, 184 p., 19 € / ePub : 11,99 €, ISBN : 978-2-8070-0428-3

bernier hugoLe récit de Monique Bernier est raconté à la première personne par le héros, Hugo, 8 ans. Il nous explique avec ses mots ce qu’il a vécu les trois dernières années, la période la plus laide de sa vie, celle où sa maman est partie du jour au lendemain et où son papa a changé.

Lorsque sa maman disparaît, Hugo réagit comme un petit garçon de 5 ans : il l’attend, la cherche, a peur de partir de la maison au cas où elle reviendrait. Son père plonge dans une dépression profonde, arrête de travailler, ne s’habille plus, ne nettoie plus leur logement. À un moment donné, il est obligé de recommencer à travailler et de prendre des antidépresseurs, mais son comportement se transforme : il ne parle presque plus à son fils sauf pour crier, s’emporte vite et lui donne des gifles quand Hugo lui demande pourquoi sa maman est partie, pourquoi elle est partie sans lui.

Dans cette situation complexe, Hugo est tout de même entouré de personnes bienveillantes qui prennent soin de lui comme elles peuvent. Il y a la voisine qui l’aide à faire ses devoirs et soigne ses bobos, Mamylouise qui est toute douce, Madeleine avec qui il peut discuter de tout et Gabin qui lui apprend la guitare. Ces personnages solaires sont très touchants, ils nous rappellent ce proverbe africain qui dit qu’il faut tout un village pour élever un enfant. Mais nous découvrons grâce au point de vue de notre jeune héros à quel point ces mains tendues sont insuffisantes. En réalité, Hugo a basculé dans un énorme trou noir hanté par la déréliction. Dans l’attente obsessionnelle du retour de sa mère, il doit vivre avec un papa qui ne s’occupe plus de lui et le force à se prendre en charge beaucoup trop tôt.

Le soir, je mangeais seul, je me servais de plats préparés dans le frigo et j’utilisais le four à micro-ondes, il m’avait montré. Il rentrait souvent tard et quand il ne rentrait pas tard, je devais monter dans ma chambre, il avait besoin d’une soirée calme et pour ça il devait être seul, je comprenais alors qu’il voulait boire du vin et je ne pouvais pas le voir. Ça arrivait aussi qu’il dépose son sac, mette une autre chemise et puis qu’il reparte, il devait se changer les idées. 

Notre petit bonhomme fait trainer ses oreilles partout et découvre dans une conversation que son père a fait un enfant pour stabiliser sa femme et que cet enfant l’encombre maintenant qu’elle est partie, mais il refuse d’envoyer Hugo vivre chez Mamylouise car il ne veut pas rester seul. Quand il comprend qu’il n’est plus qu’un animal de compagnie pour son papa, Hugo bascule dans une désespérance plus grande qui le pousse à fuguer pour retrouver sa maman. Quelque chose se brise en lui, il a l’impression que personne ne veut de lui, il n’a pas la solidité nécessaire pour traverser des sentiments aussi puissants et ambivalents. Ses proches arriveront-ils à décoder l’ampleur de sa détresse afin d’éviter le pire ?

J’avais envie de penser que ce n’était pas lui mon papa, on s’était trompé, ça se voyait, il ne se préoccupait pas de moi, ma maman n’était plus là et il ne me consolait jamais, il ne regardait que sa tristesse à lui… J’étais aussi fâché sur maman, si j’étais tout seul dans un train avec un œil blessé, c’était de sa faute aussi, pourquoi était-elle partie en me laissant seul comme ça et pourquoi elle ne faisait aucun signe maintenant ? Elle continuait tous les jours à m’abandonner, chaque jour depuis qu’elle m’avait quitté, elle choisissait de ne pas être près de moi. 

Monique Bernier est psychologue de formation et nous fait indéniablement bénéficier dans le roman Hugo de son expérience de thérapeute d’enfants tellement l’histoire sonne juste. Elle a trouvé avec finesse les mots qui font comprendre ce qu’il se passe dans la tête d’un petit garçon dont la structure psychique est menacée d’effondrement face à la disparition de sa maman, l’absence d’amour et l’effraction de la violence paternelle. Elle nous montre à quel point ce n’est pas l’intensité de la violence qui importe, c’est la manière subjective dont celle-ci est vécue. Elle nous dévoile à quel point un enfant peut être marqué à vie par l’empreinte familiale, à quel point l’absence de réponse à ses questions peut le tourmenter, à quel point son impuissance face à un parent disparu sans crier gare et un autre immature et méchant peut avoir des conséquences inéluctables. Elle nous rappelle à quel point avoir un enfant nécessite un engagement entier et permanent pour faire grandir un petit d’homme.

Hugo est un récit court et heureusement, car nous ne ressortons pas indemnes de la lecture. L’autrice a eu le courage d’aborder une réalité que tout le monde connaît, mais préfère éviter en détournant les yeux. C’est un roman qui nous bouleverse et qui, sans mauvais jeu de mots, nous fait l’effet d’un coup de poing. C’est également une invitation à reconnaître les petits Hugo autour de nous et à les prendre avec douceur dans nos bras.

Séverine Radoux

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