Winter is coming !

Un coup de cœur du Carnet

Mimosa EFFE, Les traîtres, Ker, 2024, 224 p., 18 €, ISBN : 978-2-8758-6472-7

effe les traitresLa nuit est froide pour un mois de juin. Elle regrette de ne pas avoir pris de veste. Elle regarde l’heure sur son téléphone. 00h52. Elle voit aussi un message de Marc. « Appelle-moi, je m’inquiète. » Elle sourit ; évidemment qu’il s’inquiète. Elle monte sur le petit pont au-dessus du canal. L’éclairage est faible, mais elle peut tout de même observer l’eau du canal Saint-Martin et les graffitis sur les quais. 

Leçon d’efficacité narrative ! Les traîtres nous happent d’emblée, tant la langue de Mimosa Effe est sobre et vive, ferme et légère, tout à la fois, des allures de crayonné à la Hugo Pratt.

Un page-turner !

Marie, le mercredi 2 juin 2010, semble à la dérive, ivre et solitaire, dans un moment de bascule aussi, dans tous les sens du terme, loin de sa Flandre maternelle, prête à quitter un microcosme pour un autre (« J’ai rencontré quelqu’un. », lâche-t-elle lors d’un appel à Marc), chevillée à une enquête qui « avance bien », qui va faire tomber du monde, qui la dirige vers « de plus gros poissons ». Autour d’elle, les menaces sont palpables, un clochard et son sac au cliquetis singulier, l’eau vampire, un passant éperdu, jailli du néant, qui lui demande de l’aide.

Thriller, d’emblée, et on s’en voudrait de déflorer l’issue du prologue, frappé par la subtile distillation des éléments de mystère et de suspense.

La suite ? Un emboîtement d’enquêtes et de quêtes, en France et en Belgique, entre 2010 et 2016, confrontées à l’ascension glauque et vertigineuse d’une puissance souterraine, une ultra-droite nationaliste et raciste, réactionnaire, qu’on croyait engloutie dans les décombres des années 1930 et 40 et qui s’infiltre dans tous les appareils d’État. Les drames qui lacèrent le présent ont-ils à voir avec le passé, des règlements de compte intra-familiaux ?

Une polyphonie ?

Par un faux paradoxe pour une intrigue si dure, les codes du policier se réajustent en douceur. Ainsi, le prologue est découpé en deux temps, qui préfigurent les parties du roman, la juxtaposition de quatre destins féminins faufilés dans des univers très masculins (police, activisme violent). Marie, journaliste d’investigation qui n’en finit pas d’exsuder la haine des siens. Rachel, écrivaine brillante mais égocentrée, voletant au gré de ses pulsions. Maya, engagée depuis l’enfance dans les combats de l’ultra-gauche mais désengagée d’elle-même. Aïda Kateb, qui va enquêter sur les disparitions de femmes qui soclent l’intrigue, tantôt courageuse, tantôt psychorigide.

Une mélodie policière, la tension du thriller hantent Les traîtres, mais l’ouvrage tient avant tout du roman de mœurs ou sociologique, les protagonistes livrant des voix et des perspectives contrastées, révoltées.

L’univers de la fiction

Au large les flics virils, qui alternent méninges et baston ! Toute la place, ou quasi, à des femmes marginalisées et fragilisées, mais téméraires, combattives. Qui larguent les milieux (la haute bourgeoisie, l’ultra-nationalisme, la banlieue, la religion, la famille) et les normes (trois sont homosexuelles, l’une est juive, l’autre arabe).

Sans digression ni description, des mondes méconnus se dévoilent : l’univers lesbien, les groupuscules politiques extrêmes.

Les personnages

Très bien campés, ils ne relèvent pas du livre militant mais d’un ressenti légitime, fracassé contre la difficulté du sens et de l’adéquation. Les quatre protagonistes peinent à vivre et à nouer du lien. Elles échappent à des pièges, des clans pour tomber dans d’autres. Comme s’il n’y avait pas d’échappatoire. Comme si l’être humain était trop maladroit, incomplet, incohérent, trop encerclé aussi par le Mal structurel, pour goûter au bonheur.

« Les traîtres » ? La première victime était rasée, comme les collaboratrices à la fin du conflit mondial, mais le thème de la loyauté est ici bousculé voire renversé, quand l’éthique semble appeler l’abandon, la dénonciation, la mise en question. La loyauté absolue rime-t-elle avec soumission, la trahison dirige-t-elle, avec pertes et fracas, vers l’émancipation et la réalisation ?

Conclusions

Mimosa Effe, une jeune enseignante d’origine gaumaise installée en France, a offert avec Les traîtres un premier roman maîtrisé et décapant, qui fait honneur à son prix du Roman noir de la Foire du livre de Bruxelles 2024. Une mise en garde aussi, comme La haine en son temps. Le Mal va déferler. Ou la Révolution. Crépuscule du matin ou crépuscule du soir ?

Philippe Remy-Wilkin

foire du livre 2024 visuel

Mimosa Effe présentera Les traitres à la Foire du livre.

  • Samedi 06 avril à 15h – Scène Kiosque : Remise du prix du Roman noir
  • Samedi 06 avril de 16h à 17h – Stand 307 : dédicaces