Au train où vont les événements

Colette NYS-MAZURE, Sans crier gare, Illustrations d’Élise Kasztelan, Invenit, coll. « Déplacement », 2024, 64 p., 13 €, ISBN : 9782376801078
Colette NYS-Mazure, La grâce et la rencontre, Poesis, coll. « Habiter poétiquement le monde », 2024, 16 p., 5 €, ISBN : 9782492239076

nys mazure sans crier gareUne pluie de publications récentes fait la part belle aux écrits de Colette Nys-Mazure. Parmi celles-ci, Sans crier gare évoque son attachement pour l’univers ferroviaire. La Tournaisienne y dépeint un microcosme en miroir de la société.

Loin de présenter ses déplacements comme idylliques, Colette Nys-Mazure n’hésite pas à souligner combien ces lieux clos peuvent apparaître tour à tour « malodorants surpeuplés négligés ». La clef de son obstination à se déplacer éternellement en train ? La volonté de se mêler aux passants et d’écouter « résonner d’autres vies ». Avec humour, la poétesse octogénaire confie avoir raté sa vocation : travailler pour le rail !

C’est à l’enfance, comme souvent, que remonte sa fascination pour les convois de wagons, plus ou moins poussifs ou tortueux. Et la mort s’invite au creux d’un vers, lorsqu’elle évoque celle de son père trentenaire décédé dans un accident de la route. Côté train, l’autrice tournaisienne ne manque pas, non plus, d’évoquer les accidents de personne, cette appellation qui masque l’effroi.

« L’immobilité dans le mouvement »

Quelques textes mis en exergue (des extraits de Gérard Mordillat, Giorgio de Chirico, Léonor Fini, Joseph Kessel, Jean des Cars, Nicolas Bouvier) rappellent un aspect de partage cher à celle qui fut longtemps professeure de français. Elle qui a pour habitude d’abandonner des ouvrages dans les trains ou dans les boîtes à livres pour y faire découvrir des auteurs.

Parsemées çà et là dans le recueil, des illustrations à l’encre de Chine complètent le propos et sont signées Elise Kasztelan, une jeune illustratrice française. Ce n’est pas la première fois que l’autrice belge collabore avec une graphiste d’une autre génération.

Délaissant mon livre
je contemplerai ces pareils à moi
d’origines d’âges différents
 

Observatrice, la Tournaisienne croque les voyageurs et c’est toute la société qui se retrouve consignée dans ce volume au petit format. Ainsi en est-il des allées et venues des migrants, réfugiés dans le souterrain tout proche de son arrêt. « Leurs fantômes hantent ce TER » (acronyme de transport express régional), tandis que les passants les ignorent « par impuissance indifférence usure », constate-t-elle. Diminution du nombre de guichets, peur face à certains comportements agressifs, chute d’une voyageuse, écrans envahissants, Colette Nys-Mazure n’épargne rien des aspects douloureux du monde ambiant, tout comme elle repère « notre besoin de sécurité » grandissant. Et de souligner aussi la fatigue que procure le labeur, avec des retours au bercail moins triomphants que leurs départs matinaux. Une forme de pudeur la retient toutefois de toucher le visage livré à ses côtés sur la banquette.
Sensible à la souffrance du monde, l’écrivaine ne se laisse pas seulement ballotter par le convoi, mais en repère les dysfonctionnements. « Être là cependant », les « yeux avides », voilà son ambition. Et d’énumérer les comportements entraperçus au fil des trajets. Loin de se distraire l’esprit, elle choisit plutôt d’être témoin des scènes entrevues. « Aujourd’hui je préfère me fondre me confondre » Le temps n’est jamais perdu aux yeux de la voyageuse impénitente, qui scrute les « peurs et ravissements ».

D’odeurs est-il aussi question dans ces pages. Car la voyageuse ne craint pas de les traquer. Quand bien même elles seraient désagréables, tel un « déodorant écœurant » ou un relent de « chien mouillé ».

À la fenêtre surgissent des « fragments rythmés » d’un « paysage elliptique ». Colette Nys-Mazure n’est pas la première à souligner le « rythme pendulaire » du train. En évoquant son attachement pour ce mode de transport, elle s’inscrit dans une longue tradition, celle notamment de Blaise Cendrars.
Une main tendue soulève sa valise et c’est l’humanité tout entière qui repose dans ce geste attentionné.

Dans l’intimité

nys mazure la grace et la rencontreAutre publication avec un texte court, La grâce et la rencontre, dans une collection à l’enjeu explicite : « Habiter poétiquement le monde ». Aux racines de son enfance, l’écrivaine distingue « un terreau familial imprégné des valeurs évangéliques ». Par de multiples exemples, elle évoque sa vie de famille, mère de cinq enfants et prompte à s’émerveiller de l’infiniment petit, « ces innombrables cadeaux du quotidien ». Elle vit pleinement et expérimente l’existence, aussi banale soit-elle dans sa plénitude. Un livre à lire comme une recette de cuisine pour apprivoiser le bonheur. Avec un itinéraire « pavé de poèmes », Colette Nys-Masure a résolument choisi de « vivre-lire-écrire ».

Angélique Tasiaux

Plus d’information