« On ne va nulle part en battant des nageoires »

Guillaume DRUEZ, Cœur de pédé suivi de Bocal, Oiseaux de nuit, coll. « Rideaux rouges » 2023, 114 p., 10 €, ISBN : 9782931101674

druez coeur de pedeCœur de pédé nous met en présence de Guillaume qui souffre du syndrome du cœur brisé. Son cœur est totalement nécrosé, broyé par un chagrin d’amour.

C’est vrai, je vis.
Avec un cœur brisé.
Hors d’usage.
Ratatiné.
Mis en miettes. 

Qu’importe, on peut vivre avec un cœur en miettes. Guillaume se souvient de son Flamand. Il se remémore leur vie à deux, sa manière à lui de boire son café, un voyage à Rome, leurs rapports sexuels. Peut-être qu’un jour son cœur disparaîtra complètement et qu’il devra s’en racheter un nouveau chez Hema ou à l’abattoir ? Un cœur de veau qu’il devra gober.

Le narrateur parle du quotidien d’un jeune homosexuel célibataire à la recherche d’aventures, dans les rues de Bruxelles cosmopolite, de ses errements sur les applications de rencontres. Peu à peu, la pièce bascule dans un univers plus onirique où il est question des droits des homosexuels – toujours plus bafoués dans le monde – et un retour auprès de sa mère qui, avant de mourir, s’occupera de lui.

La pièce Bocal met en scène deux personnages, Vinciane et son fils Dimitri. Ils vivent à Woluwé-Saint-Lambert. Le lieu et les actions, donnés par les didascalies, fourmillent de détails, d’adresses directes au lecteur et d’humour. L’auteur décrit largement l’intérieur bourgeois, décoré avec soin par Vinciane. Sur la table, il y a un bocal avec un poisson rouge. Une voix off pose le cadre et précise que ce soir Vinciane et Dimitri devaient manger une soupe et une très bonne quiche aux poireaux, mais qu’il n’en sera rien car Dimitri s’apprête à faire une annonce qui dépasse l’entendement. Que va-t-il dire à sa mère pour que la soirée vire soudain à l’orage ? Peut-être qu’en danois, ça passera mieux ? Ou à grands coups de vin ? L’auteur nous prévient dès le début que Vinciane est littéraire et Dimitri littéral. Peu à peu, la pièce plonge dans un langage de sourds, ainsi qu’un délicieux absurde proche des abysses, tout cela sous l’œil d’Octave, le poisson rouge qui continue à tourner dans son bocal. « Les humains sont des animaux fascinants. »

Avec un humour tranchant et une poésie douce-amère, Guillaume Druez utilise une langue parfois très crue et directe, souvent très imagée qui flirte ou bascule carrément dans l’absurde. Une langue référentielle qui assume sa belgitude – en utilisant notamment quelques mots en wallon.

C’est lors d’une ultime croisière sur la mer du Nord
Que je balancerai mon corps
Par-dessus bord
Mais ! Un étrange phénomène alors
Se produira :
Mon corps, dans l’eau, infusera…
Je me répands d’Estaimpuis à Acapulco ; je contiens les marsouins et les loutres ; (…) je suis salé comme la mer morte et doux comme la Lesse (…). 

À travers Cœur de pédé et Bocal qui est son premier texte, deux pièces publiées ensemble aux éditions Les oiseaux de nuit, Guillaume Druez parle de l’homosexualité et du fait de ne pas correspondre au moule que l’on nous a attribué. Il évoque les difficultés rencontrées, que ce soit dans les relations amoureuses ou familiales. Dans Cœur de pédé, l’auteur n’a pas peur d’égratigner la communauté gay qui a aussi ses travers.

Alors que nous découvrions ces deux textes de Guillaume Druez, nous avons appris son décès. Ce jeune auteur, acteur et metteur en scène nous a quittés, âgé de 34 ans à peine. Le théâtre belge perd une plume sensible et mordante à la fois, une voix affirmée et généreuse.

Émilie Gäbele

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