Archives par étiquette : Les oiseaux de nuit éditions

Carnets de Sclessin et d’ailleurs

Christian CRAHAY, L’endroit défriché par le fou. Carnets d’une Côte d’Or, Oiseaux de nuit, coll. « Romans à jouer, pièces à lire », 2023,122 p., 10 €, ISBN : 9-782931-101605

crahay l'endroit défriché par le fouL’endroit défriché par le fou : quel titre étrange ! C’est ainsi que le Romains auraient appelé Sclessin, Scloeticinus, où le narrateur a grandi. Quant aux Carnets d’une Côte d’Or, ils font référence à la rue où vécut sa famille.

La Belgique est terre de comédiens et de comédiennes. Parmi ces nombreux artistes, Christian Crahay n’est pas le moindre. Il a travaillé aux côtés de Lucas Belvaux, Jean-Pierre et Luc Dardenne, Peter Brook, Isabelle Pousseur, Benno Besson, Kore-Eda Hirokazu, Chantal Akerman, Adrian Brine pour n’en citer que quelques-unꞏeꞏs. Ce que le public ignorait, c’est qu’il avait également un talent de plumes, comme le révèle L’endroit défriché par le fou. Ce livre est l’évocation sensible de la vie du comédien, à peine déguisée, à travers des notes et des esquisses où il revisite notamment Liège et en particulier Sclessin. Comme l’auteur, son narrateur, Victor, est comédien et passe par les lieux qui l’ont formé. Mais il met surtout en scène une incroyable galerie de personnages dont on devine qu’ils ont dû être proches de Christian Crahay. Continuer la lecture

L’amour-camaraderie

Christine DELMOTTE-WEBER, La cabane d’Alexandra Kollontaï, Oiseaux de nuit, coll. « Rideaux rouges », 2022, 112 p., 10 €, ISBN : 9782931101599

delmotte weber la cabane d'alexandra kollontaiAlix rencontre Julia, par l’intermédiaire d’une amie commune. Dès les premières secondes passées ensemble, elles tombent dans les bras l’une de l’autre. S’ensuit une relation. Julia est aussi en couple avec Samuel. Enfin, « en couple » n’est pas tout à fait le terme approprié. Samuel goûte aux joies du polyamour et n’a pas moins de quatre relations au même moment. Il encourage Julia dans cette voie, mais elle est plus réticente. Des pointes de jalousie surgissent, surtout quand Alix rencontre Samuel et que ces deux-là se plaisent à leur tour. Alix découvre ce nouveau mode de relations. Leur rencontre a lieu dans la cabane de Samuel, un lieu retiré où il désire vivre autrement. Son rêve serait de s’épanouir au sein d’un polycule, c’est-à-dire un groupe polyamoureux. Selon lui, le couple ne laisse pas de place à l’individualité. Sa référence dans le domaine est Alexandra Kollontaï, une communiste et militante féministe marxiste soviétique, qui a forgé une nouvelle conception du monde. Il a d’ailleurs donné son nom à sa cabane. Continuer la lecture

Les Labdacides et nous

Paul EMOND, Créon suivi de Loin d’Antigone, Oiseaux de nuit, 2022, 118 p., 10 €, ISBN : 978-2-931101-54-4

emond creon suivi de loin d'antigoneMatrices textuelles inépuisables, les histoires des Labdacides, des Atrides composent des mythes fondateurs que la littérature n’a cessé de réinterroger. Au travers de deux monologues théâtraux Créon et Loin d’Antigone, le dramaturge, écrivain et essayiste Paul Emond délivre une relecture à la fois contemporaine et intemporelle du cycle tragique qui emporte la dynastie des Labdacides. Puissamment inspiré, le premier texte campe le bilan rétrospectif que Créon, roi de Thèbes, porte sur son règne. Le déplacement de focale, le dépassement des clichés qui, depuis des siècles, recouvrent la division entre Créon, représentant de la raison d’État, et Antigone, symbolisant la révolte, permet au dramaturge de donner à entendre un autre Créon, tyran inflexible, orgueilleux, avide de pouvoir certes, mais aussi simple mortel terrassé par les spectres des morts qui viennent lui demander des comptes. Unité de temps, unité de lieu, unité d’action. Solitaire, dans son palais thébain, le frère de Jocaste erre dans ses pensées nocturnes, assailli par les fantômes des morts, Œdipe, Jocaste, Polynice, Étéocle, Antigone, son fils Hémon, fiancé d’Antigone, ses deux autres fils, sa femme Eurydice… Il pressent qu’il traverse sa dernière nuit avant l’arrivée de Thésée qui le tuera et mettra Thèbes à sac. Au travers d’un despote qui s’évertue à justifier les crimes qu’il a ordonnés, à se blanchir devant le tribunal des siècles, au travers de ses discours légitimant ses décisions politiques, Paul Emond évoque en filigrane un chef d’État contemporain, taillé dans l’oppression. Continuer la lecture

Dans son propre rôle

Un coup de cœur du Carnet

Stéphane BISSOT, Après nous les mouches, Oiseaux de nuit, 2022, 142 p., 10 €, ISBN : 978-2-931101-53-7

bissot apres nous les mouchesComédienne, Stéphane Bissot a l’habitude de donner vie à des personnages imaginés par d’autres. Cette fois, c’est son propre rôle qu’elle écrit et incarne. Elle raconte ses souvenirs, ses racines surtout, sa famille. De blessures en manifestations de tendresse, elle revient sur les allers-retours entre ses parents divorcés, les liens avec chacun d’eux et avec sa grand-mère, les clins d’œil de la vie, ses mauvais tours aussi. Dès le début, le ton est donné : des sujets tristes vont être abordés, mais non sans humour voire même une certaine légèreté.

J’ai envie de commencer avec les sandwichs mous.
Le sandwich mou est à l’enterrement ce que l’air est au vent… Le pouce à [l’]enfant… Le poil au pubis… Hum. Je veux dire que le sandwich mou
nous survivra tous.  Continuer la lecture

Raisons et frissons

Aurélie VAUTHRIN-LEDENT, La question qui fauche (ou l’autre Othello) suivi de Ils le feront à vos filles, Oiseaux de nuit, coll. « Rideaux rouges », 2022, 160 p., 10 €, ISBN : 978-2-931101-45-2

vauthrin ledent la question qui faucheLa question qui fauche (ou l’autre Othello) est la première pièce de ce diptyque que nous livre l’autrice dans un grand jeu de carambolages, de diffractions, de citations dignes des Marx Brothers et d’une puissance d’éclatement formel qui laisse le lecteur pantois. Il faut s’y reprendre parfois à deux fois pour saisir la trajectoire des scènes et c’est alors à un “remix” culturel que l’on assiste, le sourire aux lèvres et l’esprit titillé.

Aurélie Vauthrin-Ledent, née  à Bordeaux en 1981, connaît sur le bout des doigts les ressorts de la scène, ses études (Sorbonne, Conservatoires, …) et ses activités artistiques (mises en scène, lectures, jeu, chant, fondation et direction de la maison d’édition théâtrale Les Oiseaux de nuit) l’ont préparée à ce grand malaxage aux diffractions tantôt loufoques, tantôt intimes et émouvantes. Continuer la lecture

Les veilleurs et veilleuses de nos vies

Florence CRICK, Vous m’avez appelée, qu’est-ce que je peux faire pour vous ? (Histoires de patients), Oiseaux de nuit, coll. « Romans à jouer, pièces à lire », 2022, 120 p., 10 €, ISBN : 978-2-931101-47-6

crick vous m avez appelee qu est ce que je peux faire pour vous« Vous m’avez appelée ? Qu’est-ce que je peux faire pour vous ? » Cette phrase, Florence Crick l’a répétée des centaines de fois. Infirmière volante dans un hôpital qui traite des personnes atteint·es de cancers, elle a voulu rendre hommage à ses patient·es et ses collègues en reprenant leurs histoires et leurs paroles. Les témoignages des un·es et des autres s’entrecroisent. Le récit est ponctué de phrases quotidiennes que peuvent dire les patient·es et les infirmier·es. L’ensemble est poignant, souvent déchirant. Impossible de ressortir indemne d’une telle lecture, que l’on ait ou pas déjà côtoyé le cancer, de près ou de loin. Certain·es patient·es gardent espoir et se battent jusqu’au bout. Certain·es s’en sortent. D’autres, las de souffrir, demandent l’euthanasie. Comment ne pas être bouleversé·e par cette dame qui écrit des lettres à ses petits-enfants qu’elle ne verra jamais grandir ? Par cette jeune fille qui avait fait promettre à sa mère de ne pas mourir, mais dont la mère n’aura pas pu tenir la promesse ? Par ce jeune garçon qui rêvait de voir Johnny en concert, mais qui s’en est allé bien avant son idole ? Par cette jeune mère en phase terminale qui perd son compagnon d’un accident de moto ? Comment ne pas être révolté·e de voir des jeunes, à peine âgé·es de trente ans, mourir si tôt ? Continuer la lecture

Vols de nuit

Pietro PIZZUTI, Qui a tué Amy Winehouse, Oiseaux de nuit, coll. “Rideaux rouges”, 2020, 96 p., 10 €, ISBN : 978-2-931101-19-3
Pietro PIZZUTI, Pop-corn, Oiseaux de nuit, coll. “Rideaux rouges”, 2020, 96 p., 10 €, ISBN : 978-2-931101-18-6

Les actrices et les acteurs sont les lucioles de nos scènes ; ils apparaissent, elles disparaissent et demeurent dans la mémoire du spectateur et des autres actrices et acteurs. Le souvenir d’une voix, le tremblement d’un geste, la présence d’un corps l’intonation singulière donnée à un mot, tout fait que le théâtre s’appuie sur une magie de la mémoire et de l’oubli conjoints. Continuer la lecture

Voyage onirique à Saint-Martin-d’Ardèche

Christine DELMOTTE-WEBER, Ceci n’est pas un rêve, Oiseaux de nuit, coll. « Rideaux rouges », 2020, 122 p., 10 €, ISBN : 978-2-931101-23-0

delmotte-weber ceci n'est pas un reveAlice, photoreporter de guerre, a besoin de s’éloigner du rythme intense de sa vie professionnelle. Après avoir découvert un échange de lettres entre les deux artistes peintres surréalistes, Leonora Carrington et Leonor Fini, elle se rend à Saint-Martin-d’Ardèche sur leurs traces. Depuis qu’elle est arrivée dans ce village, Alice rêve énormément. C’est comme si ses songes se matérialisaient, comme si des univers parallèles se manifestaient. Elle s’immisce dans la vie des deux peintres et assiste aux épisodes de 1939, lorsque Leonora, en couple avec Max Ernst, accueille Leonor et son ami Federico fuyant la capitale et la fureur nazie. Suite à un appel de sa rédactrice en chef, Alice accepte de conjuguer son repos avec un reportage sur les deux artistes. Peu à peu, le présent d’Alice se mélange au passé des deux femmes. Elle assiste à leurs conversations sans être vue. Mais parfois, un bruit, un élément témoigne de sa présence. Alice marche dans leurs pas. Elle produit des photos étranges, d’une autre texture, qui s’inspirent de la dimension poétique des deux artistes. Elle a l’impression de pouvoir enfin vraiment s’exprimer, même si sa rédactrice en chef n’est pas du même avis. Continuer la lecture

Sans voix

Jessica GAZON, Synovie, Oiseaux de nuit, coll. « Rideaux rouges », 2020, 108 p., 10 €, ISBN : 978-2-931101-06-3

gazon synovieÀ quinze ans, alors que la vie lui sourit, Synovie est prise d’un mal mystérieux. Sa voix devient molle. Son sourire se crispe. C’est un coup dur pour cette passionnée de théâtre et de lecture à voix haute. Ce blocage, à première vue inoffensif, devient de plus en plus fréquent. Personne, même le médecin du village, ne prend son problème au sérieux. Quelques mois plus tard, elle voit un neurologue qui diagnostique de la spasmophilie. Ce mal serait donc psychologique. Toutefois, son défaut d’articulation s’intensifie. Synovie choisit la voie du silence et se tait autant au cours de théâtre qu’à l’école. Un an après l’apparition des premiers symptômes, même déglutir devient difficile. Sa mère n’y comprend rien. Son père est dans le déni. Comme les vrais médecins ne trouvent rien, sa mère se tourne vers les sciences occultes et erre de magnétiseuse en marabout… Mais rien ne marche. Ses paupières continuent de s’affaisser. Son visage de pendre. Son corps la lâche peu à peu. Une nuit, son état s’aggrave. Ses parents l’emmènent chez un vieux médecin de campagne qui veut faire des examens supplémentaires et l’envoie chez un bon neurologue. Le verdict finit par tomber : elle souffre de myasthénie, une maladie rare. Le chemin de la guérison commence alors… Continuer la lecture

À la recherche des déesses grecques enrobées

Guillaume DRUEZ, Nous, les grosses, Oiseaux de nuit, coll. « Romans à jouer, pièces à lire », 2020, 78 p., 10 €, ISBN : 978-2-931101-00-1

druez nous les grossesBlanche, 46 ans, souffre de boulimie. Certain·e·s sont accros au sexe, à la cigarette, à l’alcool… Elle, c’est le sucre. En totale franchise, Blanche nous raconte ses déboires avec les régimes, ce fichu calcul de l’IMC (indice de masse corporelle), ses conseils pour une pesée réussie, cette horrible étiquette d’ « obésité modérée » – qui, comparée à l’ « obésité morbide » est encore acceptable… Être grosse, c’est aussi avoir son lot de regards, de réflexions à demi-mot, de remarques hypocrites, méchantes ou psychologisantes : « Oh, elle doit certainement compenser un manque, une perte… ». Mais n’a-t-on pas le droit d’être gros·se, un point c’est tout ? Continuer la lecture