Pourquoi faut-il (re)lire Jacqueline Harpman ?

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Jacqueline Harpman

Il y a tout juste dix ans, le 24 mai 2012, disparaissait Jacqueline Harpman, laissant « la littérature belge en deuil ». Ces mots d’Adrienne Nizet, qui rédige alors l’annonce nécrologique pour le journal Le Soir, soulignent le rôle joué par cette grande dame des lettres, qui a séduit plusieurs générations de lecteurs tout en s’impliquant dans la reconnaissance de ses pairs.

Ainsi, outre une participation active au jury du prix Rossel, qu’elle avait elle-même reçu en 1959 pour son roman Brève Arcadie, il faut rappeler son rôle déterminant dans la publication du roman inachevé de Laurent de Graeve, Je suis un assassin (2002). Sollicitée par des proches de l’écrivain mort prématurément, elle n’avait pas hésité à assumer de minutieuses tâches de correction, « des erreurs du genre fautes de frappe et tics inhérents à la première écriture d’un roman, comme le même mot qui revient cinquante fois »[1], ni à rédiger la postface de ce livre posthume. « Émerveillée par sa plume », la romancière confirmée avait écrit au jeune écrivain pour le féliciter lors de la sortie de sa première œuvre. Basée sur une passion commune pour les mots, une pudique amitié littéraire était née et des lettres s’étaient échangées. Harpman lui dédiera son roman de 2002, La dormition des amants, qui lui vaudra du reste le prix triennal du roman.

harpman la dormition des amants espace nord

Au moment du décès de Jacqueline Harpman, plusieurs journalistes évoquent ces éléments en revenant sur sa vie et son parcours littéraire. Parmi les qualificatifs qu’ils emploient s’observe une certaine convergence. Invariablement, les articles la présentent comme « écrivaine et psychanalyste » (ou l’une des variantes de ce binôme), comme si les deux facettes de sa vie professionnelle étaient irrémédiablement liées. On se souviendra qu’après avoir publié quatre livres chez René Julliard (L’amour et l’acacia, 1958 ; Brève Arcadie, 1959 ; L’apparition des esprits, 1960 et Les bons sauvages, 1966), Harpman renonce à l’écriture : « […] de 1966 à 1987, ma plume est restée sèche. Je n’avais plus d’histoire à raconter, ou plus précisément, je ne trouvais pas de nouvelle structure pour habiller mon texte »[2]. Celle qui n’avait pas pu achever des études de médecine décide alors de se former à la psychologie à l’ULB. Après quoi, elle devient en effet psychanalyste et consacre tout son temps à ses analysants.

C’est donc après une pause littéraire longue de près de vingt ans, tout entière tournée vers l’écoute et l’accueil de l’autre, qu’elle revient à l’écriture, activité qu’elle mènera désormais de concert avec la psychanalyse. Le retour de l’« écrivain de l’humanité vacillante », selon la belle expression employée par Josyane Savigneau dans son article hommage du Monde, s’effectue avec un roman bref publié chez Gallimard, La mémoire trouble (1987). Quelques-uns des ingrédients qui marqueront sa deuxième vie de romancière s’y trouvent déjà : le poids du secret et des non-dits, la complexité des relations humaines, la dimension tragique de l’existence quand elle est subie et non choisie. Avec La fille démantelée (1990), Harpman ouvre la boîte de Pandore des cruelles relations mère-fille, qu’elle n’aura de cesse de modéliser par la suite, comme un fil rouge cathartique. Ce roman où l’on sent poindre l’autofiction – ce que l’écrivaine réfute pourtant – lui permet de mettre en scène « la lutte de la fille pour naître en dépit de la mère, […] ce passé toujours prégnant contre lequel on doit se battre sans arrêt pour se définir »[3]. Les personnages de Jacqueline Harpman ont ceci en commun les uns avec les autres : ils poursuivent inlassablement un voyage à la recherche de leur identité, quête qui ne peut manquer d’éveiller des échos auprès du lecteur.

harpman la plage d ostende stockParu l’année suivante, en 1991, La plage d’Ostende inaugure véritablement le deuxième acte de sa carrière littéraire. Plébiscité par la critique tout autant que par les lecteurs, ce roman s’ouvre par un incipit qui, avec une grande économie de moyens, en dit long sur un des leitmotive de la romancière : « Dès que je le vis, je sus que Léopold Wiesbeck m’appartiendrait. J’avais onze ans, il en avait vingt-cinq. » Car Jacqueline Harpman prend un plaisir non dissimulé, dont on lui sait gré, à observer et décrire les comportements d’êtres qui s’efforcent de vivre loin des conventions et des règles d’une certaine morale. L’originalité et la force de ses romans tiennent sans doute en partie à ce subtil dosage entre une langue soignée, aux antipodes de toute modernité ou rupture, et l’affirmation, à travers des figures féminines, d’une nécessaire rébellion. Farouchement rétive à toute forme d’hypocrisie sociale, la romancière « stigmatise la bienséance, l’éducation sage et conciliante qui donne la priorité au conformisme, à l’obéissance docile »[4].

Alors que l’interdit de la relation entre Léopold et Émilienne, dans La plage d’Ostende, concerne fondamentalement leur différence d’âge, Harpman envisage un bonheur amoureux plus scandaleux encore, celui de l’inceste entre un frère et une sœur. Plus qu’un désir charnel, c’est le fantasme de l’androgyne originel – celui qui se déploie dans Le banquet de Platon – que poursuivent malgré eux les personnages du Bonheur dans le crime, paru en 1993. Clément et Emma y figurent à la fois comme des doubles en miroir et chacun comme le complément essentiel de l’autre, indispensable à sa recherche de complétude, donc d’identité : « Dès qu’ils étaient ensemble, ils ne savaient plus rien de ce qui aurait dû les séparer. Ils se regardèrent, Narcisse et Écho, l’ombre et la nuit, tout ce qui s’appartient mutuellement et qui est sans issue, et ils se mirent à briller, ils éclairèrent les murs pelés qui devinrent lisses et beaux comme le marbre […] »[5]. La fusion à laquelle aspirent le frère et la sœur, « presque jumeaux », leur procure un bonheur plus enviable que foncièrement immoral, qui déstabilise leur entourage au point de provoquer des drames en cascade.

« J’écris pour raconter des histoires »

Dans le dossier relatif à ce roman, conservé aux Archives & Musée de la Littérature où se trouve le fonds Jacqueline Harpman, des notes manuscrites dévoilent quelques-uns des ressorts et interrogations qui taraudent l’écrivaine au moment de la rédaction. Ainsi y lit-on que la « trame » est bel et bien « l’inceste Fr[ère]-S[oeur] », avec « la petite sœur jalouse qui les dénonce ». « Mais, ajoute immédiatement l’autrice, il faut en plus une intrigue – la plupart du temps mes romans sont sans intrigue – je laisse couler les choses – il faut une intrigue ! » La différence entre trame et intrigue apparaît ensuite, comme si Harpman devait intégrer celle-ci pleinement pour construire sa narration : « Une intrigue = qq’un veut obtenir qqch de précis sinon c’est une trame ». Les notes plongent ensuite au cœur des hésitations qui perturbent la romancière. Plusieurs options sont énoncées sans pour autant la convaincre – « ce n’est pas une intrigue ». Le personnage d’Emma semble lui poser du souci : « je n’attrape pas Emma – je suis encore trop proche d’Émilienne ». La filiation entre ces deux figures fictionnelles apparaît soudain au détour de cet aveu, tandis que les notes montrent comment la romancière se laisse guider par le personnage dont elle construit les traits. « Quand j’invente un personnage, j’ai toutes ses données, il est en vrai dans une bulle de mon esprit […] il se constitue ses propres règles. Non qu’il m’échappe, mais il prend une cohérence à laquelle je dois me soumettre »[6], reconnaît-elle d’ailleurs à Jeanine Paque, l’une de ses exégètes fidèles.

harpman l'apparition des espritsHarpman s’attache tellement à ses personnages qu’elle choisit parfois de les faire vivre d’une histoire à une autre. Ainsi en est-il du diptyque formé par L’apparition des esprits et Le véritable amour, publiés à quarante ans d’intervalle et dans lequel le lecteur découvre l’héroïne, Catherine, à deux moments de sa vie. « Il est périlleux de revoir un amant quarante ans après. Mais relire son premier roman ! », clame l’autrice en quatrième de couverture de l’édition double publiée 1999. L’entreprise se révèle à ce point risquée, semble-t-il, que Jacqueline Harpman n’a pas voulu republier tel quel le premier texte, jadis proposé à Julliard, avant Brève Arcadie, et que l’éditeur parisien avait choisi de garder un petit temps dans un tiroir. Elle a considéré qu’il fallait soumettre L’apparition des esprits version 1960 à « la tondeuse à gazon, [au] sécateur et [à la] plume »[7] (ce sont ses propres termes). Dommage pour le plaisir de la confrontation ! On aurait bien aimé pouvoir opposer la Catherine d’avant mai 68 à celle qui éclot à l’aube du 21e siècle. Outre celle-ci, Harpman fait également revivre son Émilienne de La plage d’Ostende. En effet, dans Du côté d’Ostende (2006), le personnage d’Henri Chaumont narre les souvenirs qui le lient à l’amie qui vient de décéder sous la forme d’un récit enchâssé, dont l’autrice possède la maîtrise – la même mécanique narrative est notamment à l’œuvre dans Le bonheur dans le crime.

Et puis il y a Jacqueline… L’écrivaine et le personnage qu’elle devient, comme dans un miroir (à peine) déformant, surgissent parfois, au détour d’une autre histoire. « Dès que je mets Jacqueline Harpman en scène, je deviens la narratrice et elle devient mon personnage »[8]. Dans Le passage des éphémères, Jacqueline est une amie de Clarisse, celle qui lui fournit des explications et des conseils psychologiques. Dans la nouvelle Le placard à balais, point de Jacqueline mais bien une écrivaine, qui « rentr[e] de Paris, où [elle] avai[t] signé quelques livres, bu une coupe de champagne et tenu des propos censément intelligents sous l’œil attendri de [s]on éditeur »[9].

harpman le passage des éphémères

Alors, l’écrivaine, qui a « toujours su se dédoubler », devient le personnage d’une autre histoire, d’un autre temps, d’un autre âge. Jacqueline l’autrice apparaît encore dans le préambule de Ce que Dominique n’a pas su, lorsque Julie annonce sans ambages son intention de se servir d’une plume expérimentée pour raconter sa propre histoire : « J’ai choisi cet écrivain – elle croit en toute sincérité être l’auteur de ce récit – car elle a déjà écrit l’histoire d’un personnage secondaire. De l’un de ses propres ouvrages, certes, mais cela montre qu’elle connaît la question, qu’elle sait ce qu’il en est d’être toujours à l’arrière-plan dans la vie des autres alors qu’on sent, naïvement, qu’on est au centre de la sienne. Peut-être, en cet instant, voyant les mots arriver sous sa plume sourit-elle, amusée par cette mise en abyme […] ».

À la toute fin de Dieu et moi, dans un nouvel exercice maîtrisé de la métalepse, c’est encore l’écrivaine qui se met en scène : « Je suis assise en face de mon ordinateur. Mes doigts enfoncent les touches du clavier sans la moindre difficulté […] Je vais imprimer ceci et l’envoyer à Blandine, on verra bien ce qu’elle en dit »[10]. Le texte paraît en 1999, postfacé par… Blandine de Caunes, longtemps attachée de presse dans le monde de l’édition avant de devenir elle-même écrivaine. Les traces d’archives laissées par Jacqueline Harpman font d’ailleurs état d’un exemplaire du manuscrit de La dormition des amants, « envoyé à Blandine »[11], tandis que la fille de Benoîte Groult est citée dans une lettre que celle-ci adresse à Harpman, prouvant si besoin était que ces femmes de lettres se connaissaient bien[12].

Et c’est encore Jacqueline l’écrivaine que l’on retrouve en narratrice de sa propre histoire, dans un effet de mise en abyme, dans la longue nouvelle La vieille dame et moi, publiée en 2001. Elle y envisage une conversation entre elle et une mystérieuse interlocutrice : « J’étais sur la terrasse, à l’ombre du lilas en fleurs, je travaillais, les yeux allant du manuscrit semi-illisible au clavier et remontant parfois vers l’écran du petit ordinateur, je venais de regarder ma montre et j’étais étonnée qu’il fût déjà une heure moins dix, quand il y eut un mouvement d’air qui me fit lever la tête et je vis cette très vieille femme assise en face de moi, qui me parlait »[13].

Loin d’atteindre l’exhaustivité, ces quelques exemples montrent bien comment, chez Harpman, le réel n’est jamais très loin. Bien qu’elle tente de le tenir à carreau à travers la fiction, celui-ci émerge soudain, un peu comme le ballon que l’on tente de retenir sous l’eau et qui jaillit sous l’effet de la pression.

Dans la bibliothèque de Jacqueline Harpman

harpman moi qui n'ai pas connu les hommes stock« Ma collection de livres de science-fiction remplit tant les murs que je ne sais plus où les mettre. Il y a Van Vogt, Williamson ou encore Stephen King dans un autre genre. Beaucoup ont disparu, j’en ai prêté, on m’en a volé… »[14]. Pour qui connaît peu ou mal l’œuvre de Jacqueline Harpman, parfois trop rapidement qualifiée d’écrivaine de la « veine classique »[15] ou néoclassique, cette révélation aurait de quoi surprendre. C’est sans compter sur la présence, dans sa bibliographie, de textes qui flirtent avec les marges du réel et du fantastique ou qui deviennent carrément dystopiques. Ainsi en est-il de Moi qui n’ai pas connu les hommes (1995), roman qui raconte, par la voix d’une narratrice parvenue au terme de sa vie – autre motif cher à Harpman – la survie de quarante femmes au cœur d’un monde dévasté. Un flou volontaire maintient le lecteur dans l’incertitude mais également dans une forme d’angoisse face à cette planète aux allures postapocalyptiques. Tout en poursuivant l’exploration de thèmes qu’elle affectionne – l’identité genrée, notamment – Harpman reconnait également ici, implicitement, sa dette envers un certain héritage littéraire. On peut en effet trouver des points communs avec le roman de fin du monde, La mort de la Terre, de Rosny aîné[16] mais également un clin d’œil à Kafka, les femmes ignorant les raisons de leur enfermement dans la prison dont elles finissent par s’échapper.

Jouant d’une autre référence littéraire bien connue, la tentation faustienne gagne au moins deux textes du répertoire harpmanien : Le passage des éphémères et Le temps est un rêve. Le premier est un roman épistolaire contemporain, où les personnages qui s’échangent des courriers électroniques rappellent parfois – autre intertexte – ceux des Liaisons dangereuses et leur chassé-croisé amoureux. Parmi eux, Adèle, la trentaine apparente, est en réalité une créature immortelle, vieille de cinq siècles, qui glisse entre les époques et observe ses semblables, pauvres « éphémères », en voyeuse tantôt cruelle, tantôt empathique. Le second, Le temps est un rêve, permet à une dame âgée de plus de cent ans de s’offrir un cure de jouvence féerique. Une nouvelle vie, riche de l’expérience accumulée, peut alors commencer pour la narratrice-autrice qui se met en scène avec jubilation.

Dès les premières lignes de Ce que Dominique n’a pas su, Harpman énonce le principe directeur de son dernier roman : utiliser la fiction autobiographique publiée en 1863 par Eugène de Fromentin, Dominique, pour donner l’occasion au personnage de Julie de prendre sa revanche et d’écrire sa propre histoire. « Et je vais raconter, affirme la narratrice-personnage, ce que Dominique n’a pas su ou, s’il le savait, n’a pas dit. […] J’ai relu hier, pour la centième fois, le récit que Dominique a fait à ce monsieur Fromentin – j’allais dire de notre histoire, mais justement, ce n’est pas la nôtre, c’est la sienne »[17]. En imposant un autre point de vue au récit auquel elle rend un hommage détourné, la romancière belge donne à nouveau l’occasion à un personnage féminin d’explorer les recoins des sentiments amoureux tout en s’insurgeant avec véhémence contre les codes moraux et sociaux.

Il arrive également que l’intertextualité se manifeste dès le titre. Ainsi en est-il d’Orlanda, roman qui remporta le prix Médicis en 1996, dont la parenté avec le texte presque homonyme de Virginia Woolf saute aux yeux. Mais le lecteur attentif se sera également aperçu que le roman Le bonheur dans le crime, dont il a déjà été question, emprunte littéralement son titre à l’une des nouvelles du recueil Les diaboliques, de Jules Barbey d’Aurevilly[18]. Plus encore, le contenu même du roman harpmanien possède des similitudes avec ce texte qui fit scandale à sa sortie, notamment à travers la mécanique du récit enchâssé, grand classique aurévillien, et le thème du couple dont le bonheur est bâti sur un crime. Les archives conservées aux AML montrent plusieurs étapes de l’écriture de ce roman. Or ni la première version, manuscrite, ni les suivantes, intermédiaires et dactylographiées, ne contiennent l’épigraphe que l’on trouve dans l’édition imprimée et qui témoigne ouvertement de la filiation. Il faut en effet attendre la version finale, celle que l’autrice a envoyée à son éditeur Stock, pour la voir figurer[19]. La référence était-elle à ce point une évidence pour Harpman qu’elle n’avait d’abord pas jugé nécessaire de l’exprimer aussi explicitement ? Malheureusement, les preuves nous manquent pour affirmer ou démentir cette hypothèse.

Les archives léguées par Jacqueline Harpman apportent encore un autre élément d’éclairage quant à la prégnance du legs de Barbey d’Aurevilly dans l’imaginaire harpmanien. Dans l’une des premières versions du manuscrit d’Orlanda (au demeurant intitulée « Orlanda, ou le change de corps »), la romancière fait lire à son héroïne, Aline Berger, Ce qui ne meurt pas, première œuvre de l’écrivain français mais dernière qu’il publia quelque cinquante ans après l’avoir écrite[20]. Or, dans les versions successives et dans l’édition définitive, cette référence se métamorphose : « Elle lit.Orlando, de Virginia Woolf, je m’en souviens parfaitement à cause du cours qu’elle doit bientôt donner. Elle aurait préféré le Barbey d’Aurevilly qu’elle a dans son sac, un auteur dont elle raffole et qui raconte des choses abominables – elle est si sage, elle doit y trouver des compensations – mais sa conscience professionnelle ne lui laisse pas le choix »[21]. Ainsi les auteurs qui affleurent dans le répertoire harpmanien y figureraient-ils non seulement pour marquer l’héritage littéraire de l’écrivaine mais également pour appuyer le développement psychologique de ses personnages. Telle semble être, en tout cas, la perspective qu’elle adopte dans Mes Œdipe, pièce de théâtre inspirée de Sophocle, dont elle s’amuse en 2006 à démonter le mythe. À rebours du texte antique, Harpman offre une vision renouvelée, plus contemporaine de la tragédie, où Œdipe, pourtant bien déterminé à renoncer au destin qu’on lui connaît, ne parvient plus à savoir, en définitive, si l’inceste rime avec un bonheur absolu ou abject.

Prolixe et inventive, Jacqueline Harpman nous a laissé une œuvre riche de vingt-huit titres, entre romans, recueils de nouvelles et texte dramatique. Parcours intérieurs, description subtile et fine des sentiments, résistance contre les conventions mais aussi humour caractérisent les grandes lignes d’une production dont il serait bien dommage de se priver aujourd’hui. Parce que les grandes plumes ne meurent jamais, en particulier celles qui, comme elle, n’ont « jamais eu la prétention d’écrire des histoires moralement correctes »[22].

Laurence Boudart


[1] Citée par Pascale HAUBRUGE, « Le dernier de Graeve », Le Soir, 22/5/2002.
[2] Interview de Jacqueline Harpman par Olivier STEVENS, La Libre Match, 14 avril 2004, p. 6.
[3] Jacqueline Harpman interrogée par Jeanine PAQUE, « Dieu, les autres et moi : les vies parallèles et Jacqueline Harpman », Le Carnet et les Instants, n°123, 15/5-15/9/2002, p. 24.
[4] Interview de Jacqueline Harpman, La Libre Matchop. cit.
[5] Jacqueline HARPMAN, Le bonheur dans le crime, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2012 [1993], p. 227.
[6] Interview par Jeanine PAQUE, Le Carnet et les Instants, op. cit.
[7] Citée par Francine GHYSEN, « La revanche de Catherine », Le Carnet et les Instants n°115, 15/11/2000-15/01/2001.
[8] Interview par Jeanine PAQUE, Le Carnet et les Instants, op. cit.
[9] Jacquelin HARPMAN, Le placard à balais, Bruxelles, Le grand miroir, 2003, p. 7.
[10] Jacqueline HARPMAN, Dieu et moi, Paris, Mille et une Nuits, p. 90-91. Notons qu’au début du récit, elle se présente officiellement, ne laissant aucun doute sur son identité : « Et moi, je suis Jacqueline Harpman » (p. 11).
[11] Document ML 13010/6.
[12] Document ML 13152/4.
[13] Jacqueline HARPMAN, La vieille dame et moi, Bruxelles, Le grand miroir, 2001, p. 5.
[14] « Dans le bureau de Jacqueline Harpman », Elle Belgique, janvier 2004, p. 40.
[15] Voir la notice la concernant dans 17 écrivains belges, Paris, Le Castor Astral, 1999, p. 48.
[16] Voir l’article de Patrick BERGERON« La vie derrière soi »Textyles, n° 48, 2016, p. 81-92.
[17] Jacqueline HARPMAN, Ce que Dominique n’a pas su, Paris, Grasset, 2007, p. 10.
[18] Voir le dossier pédagogique réalisé par Agnès FAYET.
[19] Document ML 12950/6.
[20] Document ML 14204/2.
[21] Jacqueline HARPMAN, Orlanda, Paris, Grasset, 1996, p. 22.
[22] Ibid., n. p. (« Moralité »).


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°211 (2022)