La bibliothèque en papier de Bernard Quiriny

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Bernard Quiriny

Depuis bientôt vingt ans, Bernard Quiriny compose des nouvelles fantastiques comme d’autres respirent. Avec la même apparente facilité – les romans, c’est une autre histoire. Avec esprit et facétie. Il n’appartient pas à la catégorie des auteurs et des autrices qui écrivent leurs tripes sur la table de travail. La littérature est pour lui un terrain de jeu et d’invention. Il décale la logique, la réalité ; invite à d’étranges rencontres. Sous cette apparente légèreté et avec une certaine pudeur, une vision du monde plus tragique se dessine. « Souris puisque c’est grave », chantait Alain Chamfort. Cette maxime, Bernard Quiriny pourrait la reprendre en chœur…

Ce n’est jamais simple de commencer un entretien, point toujours l’angoisse de la première question, comme pour l’écrivain l’angoisse de la première phrase, titre de votre recueil inaugural. Aussi voudrais-je débuter en abordant avec vous le genre de la nouvelle. Quand avez-vous commencé à en écrire ?
Les premières nouvelles que j’ai écrites sont parues dans L’angoisse de la première phrase, en 2005. Elles doivent dater des deux années précédentes. J’étais dans ma vingtaine. Je n’avais même jamais essayé d’entreprendre un roman. Je ne l’ai fait ensuite qu’à deux ou trois reprises. Instinctivement, je préfère la nouvelle. Cette forme correspond plus naturellement à ce que j’aime faire, à ce que je suis capable d’écrire. Je ne crois pas que ce soit le signe d’une déficience. Chacun a une distance sur laquelle il s’avère le meilleur, en tout cas, sur laquelle il aime courir.

Enfant, adolescent, vous n’écriviez pas ?
Tout cela s’est déclenché sur le tard. Je me suis bien rattrapé depuis. Enfant, je lisais très peu et adolescent, quasi rien, sinon deux ou trois classiques. J’étais très fainéant. Lire ne me tentait guère. Je ne me suis intéressé à la littérature qu’à partir de dix-huit, dix-neuf ans. Je ne sais d’ailleurs pas pourquoi cela m’a pris. Plus que sur la littérature, mon intérêt se portait sur l’actualité littéraire. Chemin faisant, j’ai lu tout ce qui me tombait sous la main. En quelques années, peut-être en quelques mois, j’avais rattrapé le retard accumulé.

Comment s’est manifestée votre appétence pour le genre de la nouvelle ?
Je ne sais comment l’expliquer. J’ai eu quelques flashes, quelques illuminations. Deux en particulier me restent à l’esprit. J’ai peut-être oublié les autres. Le premier est survenu en lisant Le passe-muraille de Marcel Aymé. Je me suis dit : « Bon sang, il est donc possible d’écrire des histoires comme celle-là, avec des traits de génie comme ceux-là, faire des nouvelles brillantes, drôles et légères, accessibles à tout public ! » Le livre de sable de Jorge Luis Borges, prêté par un copain, est le deuxième choc. Je ne connaissais pas du tout cet auteur. J’ai tout de suite été séduit par les jeux spéculatifs, les miroirs, les doubles… Pour le dire simplement, cela m’a parlé. Cela correspondait à mon tempérament. J’ai dû y trouver quelque chose que j’attendais sans le savoir.

En plus de multiplier les citations en exergue de vos nouvelles, vous prolongez les textes des autres (de Marcel Aymé entre autres), disséminez des citations dans le corps du texte – j’en ai trouvé une de Lautréamont… Vous semblez totalement habité par la littérature.
Comme je vous l’ai dit, quand j’étais jeune, je n’ai pas lu. Aujourd’hui, par contre, je passe ma vie à lire et un peu à écrire. Il n’y a que cela qui m’intéresse. Par exemple, allant visiter une belle ville moyenâgeuse, je commencerai toujours par le libraire de livres anciens avant de découvrir l’église ou le musée… Je vis dans un univers de papier et cela transparaît dans mes livres. Toutes les blagues qui me viennent sont littéraires, pareil pour les références que j’ai à l’esprit, les jeux de mots, les citations. Je n’admire aucun footballeur, aucun joueur de tennis, mais des écrivains, énormément. Si cela peut paraître un peu autoréférentiel, hermétique, si cela semble à certains manquer de vie, je le comprends très bien, mais c’est comme ça, c’est ma vie, j’habite un monde de papier. Plus précisément, je demeure dans une bibliothèque. Si on aime les bibliothèques, on se sent bien en ma compagnie. Si on a besoin de grand air, ma foi, on n’est pas obligé de m’accompagner…

En plus d’inventer des livres, des bibliothèques, vous ajoutez des écrivains fictifs à la longue liste de ceux qui existent déjà…
Au fond, ce n’est jamais qu’une variation de l’invention romanesque ou littéraire appliquée aux bibliothèques. Si j’invente quelque chose, spontanément, je vais inventer un écrivain.

Vous ne laissez pas longtemps croire qu’Archibald d’Handrax, le personnage de votre dernier livre a vraiment existé, même si Rivages poche a publié un livre de ses aphorismes (Carnets secrets).
Le but n’était pas de perpétrer un canular mais de jouer au canular. Je sais bien que personne n’y croit. Mais j’aime à faire comme si. Créer un auteur qui n’existe pas, mettre en librairie un livre qui lui soit imputé m’a beaucoup amusé. Ce petit volume d’aphorismes publié sous son nom m’a permis de ne pas éditer ces choses-là sous le mien. Un livre d’aphorismes peut paraître quelque peu pompeux, grandiloquent. J’aurais été un peu ridicule en le faisant moi-même. À travers un personnage, cela devient léger et amusant. La gravité de l’entreprise est désamorcée.

Est-ce que vous avez écrit ces aphorismes en vous mettant dans la peau d’Archibald d’Handrax, ou sont-ils totalement de vous ?
Je les ai écrits bien avant d’avoir l’idée d’Archibald d’Handrax. Je ne savais qu’en faire. J’en étais très content mais ils sommeillaient dans mes archives depuis des années. Je ne tenais guère à les publier sous mon nom, les éditions Rivages non plus. On leur a trouvé une utilité. Mon côté économique est satisfait. J’aime quand chaque chose a un rôle. Je ne crois pas au hasard en littérature. Ce livre que j’avais écrit sans vraiment souhaiter le rendre public fonctionne bien tel qu’on l’a mis en scène. De plus, il a parfaitement sa place dans la collection « Rivages poche », qui publie des choses décalées.

Lorsque vous avez fait le service de presse, l’avez-vous dédicacé de votre nom ?
Si j’ai signé Le portrait du baron d’Handrax, je n’ai pas dédicacé ces Carnets secrets. Je n’en suis pas l’auteur. Le volume a simplement été joint à l’enveloppe.

D’autant qu’Archibald d’Handrax est mort.
Cela dit, cela ne l’empêche pas d’envoyer des cartes postales d’outre-tombe…

Comment avez-vous inventé ce personnage atypique ?
Je vais vous en livrer le secret de fabrication. Comme toujours je n’avais que des idées de textes courts, de micro-nouvelles. Si j’avais suivi cette pente, j’aurais abouti à ce que je fais toujours, un recueil de nouvelles. Mais les recueils de nouvelles sont difficiles à vendre, il est compliqué d’en parler. Et, il faut que je l’avoue, j’ai une frustration quant au recueil de nouvelles comme objet. Il n’a pas de statut. Par exemple, vous avez un recueil de vingt histoires. Pourquoi vingt, pourquoi pas vingt-et-une ? Pourquoi celles-là plutôt que d’autres ? Cet objet est toujours un peu bancal. Comme un livre doit compter environ deux cents pages, on y inclura vingt nouvelles. Mais on aurait pu en mettre cent, ou trois. J’ai eu cette idée toute bête de créer un lien artificiel entre tous les textes qui, au départ, étaient parfaitement indépendants. Le personnage est ce fil rouge. Une fois l’idée trouvée, c’est parti tout de suite. Le moindre truc qui me venait à l’esprit, je trouvais le moyen de le lui imputer. J’ai pensé assez vite à ce nobliau d’Ancien Régime, intact dans son manoir de l’Allier, une sorte d’Archibald Haddock en plus gros, avec femmes et enfants. Cela me donnait doublement satisfaction. Le livre a été facile à faire, il ne m’a pas demandé d’efforts, il s’est fabriqué un peu tout seul. D’un côté, j’avais la boîte où déposer toutes mes idées sans l’insatisfaction de la disparité du recueil de nouvelles, de l’autre, je construisais au fur et à mesure le personnage. Malheureusement je ne suis pas sûr de pouvoir réutiliser la recette indéfiniment…

Comment concevez-vous vos recueils de nouvelles plus traditionnels ?
Contrairement à d’autres écrivains, je ne publie aucune nouvelle en revue. Je n’ai pas de réel contact avec le milieu de la nouvelle. D’ailleurs, il n’existe quasi plus de revues littéraires. J’écris les nouvelles et quand j’en ai en quantité suffisante, je considère qu’elles forment un recueil. Il n’y a pas de vision d’ensemble. C’est cela que je trouve frustrant. Heureusement, je n’ai pas le sentiment que lorsqu’un lecteur ouvre un recueil signé Quiriny, il soit embêté par cette absence. Je réussis, de toute façon, à plaquer artificiellement une vision d’ensemble en faisant un peu de peinture à la fin… Je fais des séries, des trucs, ainsi cela peut donner le sentiment d’un livre conçu d’une traite, ce qu’il n’est jamais. C’est plutôt un collier de perles que j’essaie de rendre présentable.

Quand considérez-vous alors qu’un recueil est terminé, prêt à être publié ?
Généralement, je travaille par phase. Actuellement, je suis en jachère totale depuis environ neuf mois. À un moment cela va repartir, et je vais pondre vingt-cinq nouvelles d’affilée. Je serai en forme et j’aurai des idées. Et surtout, j’aurai le courage de m’y mettre. Au bout d’un moment, je passerai à autre chose, appelé par des tâches diverses, professionnelles ou non. Je laisserai tomber. Quelques mois plus tard, je rouvrirai le dossier. Je verrai que j’ai vingt-cinq nouvelles et je me dirai : Très bien, j’ai un recueil.

Dans Une collection très particulière, vous écrivez : « Un écrivain absolu, inconsciemment guidé par le texte qui tournait dans sa tête, et qui ne trouverait le repos qu’après l’avoir écrit comme il devait l’être… » Est-ce que cela se rapporte à vous aussi ?
Pas exactement. Cela signifierait que j’écris tout le temps le même texte jusqu’à ce qu’il atteigne sa forme de perfection. Une forme probablement inatteignable dont on ne peut s’approcher que par asymptote. Je suis perfectionniste mais pas au point de refaire toujours la même chose. J’estime qu’une fois que l’on a dépensé une énergie raisonnablement suffisante sur un travail, il faut considérer qu’il est bon de s’en débarrasser quand bien même il serait imparfait. Il est possible que sans m’en rendre compte j’écrive toujours la même chose, que je tourne sans cesse autour des mêmes thèmes, que je les habille chaque fois différemment. Le fantastique est un petit domaine d’une quinzaine d’idées que l’on rhabille perpétuellement. Le plaisir est de les arranger différemment.

Si la clôture d’un volume ne semble pas guidée par un principe réfléchi, qu’en est-il de la fin d’un texte ? Qu’est-ce qui vous signale qu’il est fini ?
J’avais théorisé cette distinction dans Monsieur Spleen, le livre sur Henri de Régnier. Il y a d’une part les écrivains « ensemblistes » qui écrivent d’un jet et ensuite améliorent ; et d’autre part, les écrivains « successifs » qui retravaillent au fur et à mesure, presque ligne par ligne. J’ai testé cette catégorisation, je crois vraiment que cent pour cent des auteurs se rangent dans ces deux catégories-là. Personnellement, j’appartiens à la première. Comme pour la peinture, vous passez une première couche, des scories persistent, vous repassez deux fois, trois fois. Au bout de la troisième, il ne reste plus grand-chose à corriger. On finit par laisser tomber par lassitude plutôt que par satisfaction. Si on était vraiment rigoureux, il resterait toujours un petit coup de pinceau à remettre ici ou là. On ne peut garder le travail sur le métier pendant cinquante ans. C’est un peu décevant mais c’est ainsi, c’est surtout par résignation que l’on considère qu’un texte est terminé.

Henri de Régnier dit : « Je n’aime pas écrire, j’aime avoir écrit. » Partagez-vous ce sentiment ?
Je trouve cette phrase très juste. Le fait d’écrire est fatigant, difficile. Je suis comme tout le monde, je trouverais n’importe quel prétexte pour ne pas m’y mettre. J’aime bien entasser les idées et spéculer sur l’objet qu’elles pourraient devenir, mais me mettre au travail devant mon ordinateur… Une fois la machine lancée, ça va, mais s’y mettre… Ceci dit, une fois que je l’ai fait, je suis très content. Regarder le texte, le corriger, l’améliorer ne me pose aucune difficulté. Que du contraire, je trouve cela très agréable. Peut-être que cette phrase d’Henri de Régnier signifie tout autre chose mais c’est ainsi que je la comprends, et qu’elle correspond à ce que je pense. 

Comme nous l’avons déjà évoqué, vos livres regorgent de bibliothèques. À quoi ressemble la vôtre ?
Elle est frustrante parce que je n’ai pas assez de murs pour y placer tous les livres. J’ai donc dû opter pour des doubles rangées, moyennant quoi on ne s’y retrouve plus. Si j’avais un immense mur, où je pouvais tout mettre sur une seule rangée, je classerais par éditeur. Déformé par la critique, je retiens les livres selon les maisons où ils paraissent. Je les retrouve à la typographie de l’éditeur. C’est joli, esthétique. Si un écrivain a publié chez plusieurs éditeurs, je suis bien embêté. Je le sépare en plusieurs morceaux. Idéalement, il faudrait que les auteurs soient fidèles à leur éditeur ou que les graphismes et les formats ne soient pas liés à l’éditeur mais à l’auteur.

Vous dites que votre pente naturelle c’est d’écrire des nouvelles. Pourquoi avoir écrit des romans, alors ?
Je ne sais pas. Vous ne choisissez pas vraiment. Même si quatre-vingt-dix pourcents des idées qui me viennent sont des nouvelles qui ne donneraient pas de bons romans, certaines, de temps en temps, me tiennent à cœur, me travaillent, et elles ne tiendraient pas dans le format de la nouvelle, même un peu longue. Tel était le cas des Assoiffés, du Village évanoui. Et même L’affaire Mayerling, bien que j’aie fini par le transformer en roman puzzle. Vous êtes tributaire du format des idées qui vous viennent à l’esprit. J’y arrive avec le roman, mais cela me pèse. Je trouve le travail romanesque fatigant et fastidieux. Mais écrire un roman par morceaux d’une demi-page ou d’une page, comme Le portrait du baron d’Handrax, fonctionne bien. Depuis quelques mois, je suis dans la lecture de Jules Renard, eh bien, il faisait exactement cela. Poil de Carotte est un roman par nouvelles. Je comprends de l’intérieur ce qui l’a poussé à procéder ainsi.

Vos romans sont-ils reçus différemment de vos recueils de nouvelles par le public et la critique ?
epuis les années que j’écris, j’ai beaucoup de chance car je suis peut-être un des seuls auteurs dont on ne dit pas que la nouvelle serait pour lui une sorte de récréation, quelque chose de secondaire. Je suis reconnu comme nouvelliste. Je ne sais pas si la réception des romans a été différente, mais au moins, lorsque je publie des nouvelles, on ne le dénigre pas. Alors que souvent la nouvelle est regardée avec dédain, comme une récréation, un récital.

Vous faites maintenant partie de l’histoire du fantastique belge, et pourtant vous ne vous en revendiquez jamais.
Quand on me demande mon arbre généalogique littéraire, je ne pense pas spontanément aux auteurs belges. En réalité, je n’ai découvert les fantastiqueurs et les surréalistes belges, tout cela se mélangeant un peu, qu’assez tardivement. Je me suis rattrapé depuis. J’ai lu Marcel Thiry, Michel de Ghelderode, Georges Rodenbach et d’autres. Je m’en sens assez proche, particulièrement des surréalistes. J’aime beaucoup Louis Scutenaire. J’accepte tout à fait d’être rattaché latéralement à cette branche-là. Mais elle ne m’a pas influencé. Je peux interpréter cela comme le ferait Pierre Bayard : je pense que ce sont des écrivains qui m’ont influencé avant même de les avoir lus, sans que j’aie besoin de les lire. Il doit y avoir un ADN de la belgitude. Même si vous ne lisez pas du belge, vous finissez, en étant belge, par faire du belge. Arrivé en France tout petit, je n’ai quasiment jamais vécu en Belgique. J’y allais pendant les vacances, c’est tout. En moi ne subsiste aucune imprégnation climatique ou géologique du pays… Mais peut-être qu’on n’échappe pas à sa naissance.
Je crois beaucoup au fait que les choses s’écrivent d’elles-mêmes. On ne maîtrise pas vraiment la direction du navire. C’est particulièrement vrai dans le cadre du roman, et c’est cela qui est intéressant. Le roman a une nécessité interne, une logique propre. Il finit souvent à un endroit où on n’avait pas prévu de l’amener. Les personnages possèdent également leur logique interne. Ils prennent les commandes au bout d’un moment. Il est intéressant de repérer dans un livre la part du livre et la part de l’auteur. Si on était cohérent, on ne devrait pas associer un auteur à un livre, comme individu il n’y est pas pour beaucoup.
C’est un peu la même idée qui m’a permis de prolonger, dans mon premier recueil, Le passe-muraille de Marcel Aymé. Dans un premier livre, on aime afficher ses apparentements, sa généalogie. En toute humilité, c’était une forme d’hommage et un jeu de l’esprit. Aujourd’hui, je n’oserais pas le refaire. À vingt ans, ça passe, à quarante-cinq cela fait plus prétentieux, de récupérer le personnage d’un auteur célèbre. Même si en soi, et c’est là où je voulais en arriver, ce jeu fait partie de l’idée selon laquelle la bibliothèque vit sa propre vie. Les personnages passent d’un livre à l’autre, ils n’appartiennent pas à leur auteur. S’ils ont leur indépendance, d’autres peuvent dès lors les emprunter.

Est-ce que la baron Handrax a pris, à un moment donné, la main sur vous ? Est-ce qu’il a modifié votre façon d’écrire ?
Certainement. D’une part, j’ai écrit les nouvelles différemment, et la façon de les concocter a été plus facile. J’économisais tout le travail du décorum. J’avais l’idée, et je n’avais pas besoin de trouver un décor, ni un personnage, ni une ambiance, ni rien. Tout était déjà fourni : j’avais le baron dans son manoir de l’Allier, qui cause avec Bernard, qui se promène dans la forêt, et les choses venaient comme cela. La formule est très économique.

À côté d’être écrivain, vous êtes critique littéraire, professeur de droit, vous multipliez les formes d’écriture. Pour quelqu’un qui n’aime pas s’y mettre, vous écrivez beaucoup…
Dans les critiques et les articles scientifiques, je ne joue pas mon honneur sur une phrase mal tournée. Les articles scientifiques, tout le monde s’en fout et les articles littéraires volent au vent, disparaissent une fois que le journal est parti à la poubelle. J’essaie de faire le mieux que je peux, mais cela ne me demande pas d’effort : lire un livre, écrire la critique dans la foulée est facile. De plus le nom de Bernard Quiriny ne sera jamais associé aux yeux de la postérité à ce livre que quelqu’un retrouvera dans une bibliothèque après ma mort. Par contre, le livre, c’est un peu de vous. Il faut y faire plus attention. La pression est différente.

Ces diverses écritures s’interfèrent-elles, se nourrissent-elles les unes les autres ?
Je ne sais pas trop. Les articles scientifiques, historiques ou autres que je suis appelé à faire dans mon travail sont écrits en style universitaire. C’est terne, précis… Cela étant dit, je viens de finir un essai sur le libéralisme, qui paraîtra à la rentrée aux éditions du Cerf, je l’ai écrit un peu comme un roman, sous la forme d’un dialogue, pour lui donner de l’aération et du charme. On peut dire que dans ce cas une sorte de compénétration a opéré. Ma grande peur est que les universitaires ne le trouvent pas sérieux, même si le fond l’est, et que les littéraires le trouvent ennuyeux même si la forme ne l’est pas. À suivre donc…

Michel Zumkir

Livres cités

L’angoisse de la première phrase, Paris, Phébus, 2005, rééd. « Points », 2011
Une collection très particulière, Paris, Seuil, 2012, rééd. « Points », 2013
Monsieur Spleen : notes sur Henri de Régnier, Paris, Seuil, 2013
Portrait du baron d’Handrax, Paris, Rivages, 2022
Archibald d’HANDRAX, Carnets secrets, Paris, Seuil, 2022


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°212 (2022)