Émilie GÄBELE
L’école forme des milliers de citoyens. En imposant moult règles et décrets, ne sacrifie-t-elle pas la liberté, la créativité ? Ne produit-elle pas finalement que des pensées prêt-à-porter, des robots ?
Caroline a vingt-deux ans. Elle nous raconte son parcours scolaire, de la maternelle à l’université. Un parcours qui lui a laissé un certain goût amer, qui lui a imposé un C à ses rayons de couleur, des barreaux à ses feuilles blanches. Selon elle, l’école est une cage dans laquelle on enferme des oisillons sans cervelle qui, après avoir appliqué des lignes bien droites, en ressortent tout aussi bêtes, sans débordements aucuns, sans imagination. Caroline n’a jamais été une élève exemplaire. Elle fut même parfois médiocre. Et pourtant, elle s’est vu attribuer toute sa vie des très bien. Elle n’a pas le niveau, mais son audace et son goût pour le français et son fameux accord du participe passé la poussent à s’inscrire à l’université. Nous accompagnons la jeune femme d’illusions en secrets espoirs. Deviendra-t-elle à son tour professeur de français ? Reproduira-t-elle les mêmes grilles d’évaluation formatées que ses prédécesseurs ? Ou parviendra-t-elle à sauter par-dessus les cadres, à enjamber les lignes droites pour en créer de nouvelles, davantage courbées ?
On n’apprend pas aux vieux singes à faire la grimace. Jean-Pierre Dopagne, auteur de la célèbre pièce L’enseigneur, connaît très bien le monde de l’enseignement, ayant pratiqué lui-même le métier de nombreuses années en secondaire et dans le supérieur. Ce texte truffé d’adresses directes au public est comme un cri. Dans ce monologue non dénué d’esprit critique, peut-être un poil trop pessimiste, l’auteur nous dresse un triste portrait du système éducatif : l’université envoie sur le marché du travail une ribambelle de jeunes adultes non formés qui s’essaient par la suite à former de nouvelles personnes. C’est le serpent qui se mord la queue. La pénurie de professeurs est-elle à ce point criante qu’il nous faut envoyer des incapables au bûcher ? À défaut de grives, on mange des merles. En attendant, on s’interroge. On se demande si le savoir n’est pas devenu un luxe, si l’école n’est pas réellement finie…
- Jean-Pierre DOPAGNE, L’école est finie, Carnières, Lansman, 2014, 38 p., 9 €