Jean-Pierre ORBAN, Nous nous ressemblons tant, MaelstrÖm, 2015, 56 p., 6 €
Inutile de s’interroger sur le genre auquel appartient Nous nous ressemblons tant de Jean-Pierre Orban. Le lecteur, bien libre de convoquer le narrataire invisible du Camus de La Chute, le délire de Molloy, le désarroi des Six personnages de Pirandello ici ramenés à un seul, pourquoi pas même l’écorchement brellien de Ces gens-là, ne trouvera pas dans ces illustres références des besicles interprétatives d’un grand secours. Le ton donné est en tout cas celui de la confession embarrassée, hargneuse parfois, quand ce n’est un tantinet manipulatrice dans sa séduction de l’auditeur.
« Tout commencerait-il par un oubli, cette fois et pourquoi pas toujours, peut-être le monde est-il né d’un oubli, d’une erreur, d’un trou ? » s’interroge facticement le narrateur masqué, alors qu’il connaît la réponse à son questionnement rhétorique. Puis il embraye sur une confession qui bifurque sans fin, révèle et dissimule, danse en fumiste ou en funambule. La phrase d’Orban, artiste de la fugue, se superpose aux méandres de quelque fleuve anversois. Elle fait apparaître la figure d’un enfant-roi calé sur la banquette arrière d’une voiture au volant de laquelle se tient le Père. Tout se dessine (drame personnel, rapports problématiques, quête de soi) et se dérobe aussitôt.
Nous nous ressemblons tant est un texte fort par sa dynamique, par sa plasticité. Il peut se lire en chambre, dans le silence, et se coulera alors jusqu’à l’âme de l’individu qui saura en percevoir la douleur de fond. Il peut également s’écouter de la bouche d’un diseur, qui viendrait incarner les mots, leur infléchirait sa version des faits, et les partagerait avec un public pris à partie.
Quelle que soit la façon donc de le recevoir, il s’agit de se glisser dans la peau de « Monsieur », de se laisser porter par l’effleurement de sa mémoire, d’accepter de n’entrevoir que les flashes de son destin réagencés par l’auteur – mais Orban a-t-il dû faire preuve d’autorité sur ce récit affranchi des contraintes, qui nous parvient avec un naturel désarmant et une fluidité confondante, et dont la psalmodie tantôt lente tantôt heurtée, ponctuée d’oralité et de fulgurances, aboutit à la poésie pure ?