Archives par étiquette : mémoire

Ce qui scelle les tourments

Un coup de cœur du Carnet

François EMMANUEL, Raconter la nuit, Seuil, 2022, 256 p., 19 € / ePub : 13,99 €, ISBN : 978-2-02-149348-1

emmanuel raconter la nuitPierre, le narrateur, reçoit une lettre de Vera, une femme qu’il a connue étant adolescent, mais c’est le visage de sa sœur jumelle Jelena qui s’impose dès la première phrase de ce nouveau roman de François Emmanuel :

Et sans doute l’histoire tiendrait au seul regard de Jelena, bleu profond, posé sur moi au bord d’une indignation. Sans doute faudrait-il la reprendre par le commencement, cette histoire, sachant qu’un commencement n’est jamais qu’une entrée en lumière.  Continuer la lecture

Femmes résistantes. Récit des camps

Madeleine DEWÉ, Je voyais l’aurore… Récit de la captivité (1944-1945) de Marie-Thérèse Dewé, Marie-Madeleine Dewé, Berthe Morimont-Lambrecht, Territoires de la Mémoire, coll. « À refaire », 2021, 112 p., 16 €

dewe je voyais l auroreÀ l’occasion d’un voyage mémoriel au camp de Ravensbrück, organisé par l’asbl Les Territoires de la Mémoire, Madeleine Dewé et André Lebrun ont transcrit et mis en forme les propos enregistrés par leur tante Marie-Thérèse Dewé, résistante, déportée politique qui longtemps après la Libération (au début des années 1980), livra le témoignage d’un groupe de femmes résistantes et de leur déportation en Pologne, en Allemagne et en Autriche. Marie-Thérèse Dewé témoigne pour celles qui ne sont jamais revenues, celles que la mort nazie a fauchées, sa sœur Marie-Madeleine, Berthe Morimont. Récit capital du rôle encore trop sous-estimé des femmes dans la Résistance en Belgique, transmission d’une mémoire des actions (renseignement, sabotage) contre l’occupation allemande, Je voyais l’aurore… décrit avec humilité l’implication de femmes appartenant au réseau d’évasion Comète, lequel aidait les aviateurs et soldats alliés à regagner l’Angleterre. Chef du réseau de résistance « Clarence », Walthère-Jacques Dewé, le père des héroïnes, fut abattu par les Allemands en janvier 1944. Continuer la lecture

Juste le minimum hérité

Véronique ROELANDT, Mes hamsters, Arbre à paroles, 2021, 58 p., 10 , ISBN : 978-2-87406-706-8

roelands mes hamstersParmi les derniers-nés de la collection iF, quelle bonne surprise que de découvrir, aux côtés des deux incontournables de la littérature belge que sont désormais Karel Logist et Christine Aventin, le premier recueil d’une toute nouvelle autrice : Véronique Roelandt. Continuer la lecture

Apprivoiser son Dibbouk

Irène KAUFER, Dibbouks, Antilope, 2021, 224 p., 18 €, ISBN : 978-2379510502

kaufer dibbouksLes éditions de l’Antilope, dont la ligne éditoriale se concentre autour de « textes littéraires rendant compte de la richesse et des paradoxes de l’existence juive sur les cinq continents », accueillent dans leur catalogue le nouveau roman d’Irène Kaufer. Dibbouks, un texte singulier autour des identités. Continuer la lecture

Le vertige des masques

Jean-François FÜEG, Ni Dieu, ni halušky, préface de Jean-Pierre Sakoun, postface de Dominique Costermans, Territoires de la mémoire, 2019, 96 p., 9 €, ISBN : 978-2-930408-43-9

« Elle qui avait lutté toute une vie pour ne pas être fille d’immigrés, la termina  Anna Bielik », Page 69, Jean-François Füeg lâche cette phrase simple et trouble, la nomination initiale la mère reprenait le dessus et Annie allait disparaître…

Dans Ni Dieu, ni halušky, son dernier opus, l’auteur poursuit la quête d’une mise à jour du palimpseste de toute immigration, des secrets de famille intriqués dans l’histoire collective, des silences paralysants. Cette suite de livres[1] poursuit avec une qualité rare, le dévoilement du concept de « stress identitaire ». L’histoire d’Annie, c’est l’histoire de la mère, celle qui conte une autre histoire fondatrice à ses enfants, qui raconte l’Histoire à sa façon, déportée du réel, en touches rhapsodiques, cousant bout à bout des incongruités qui tiennent, se polissent, prennent sens et enlisent la famille au fil du temps. Continuer la lecture

Maille à partir avec Mamie !

Patricia HESPEL, La dernière maille, Genèse, 2020, 318 p., 22,5 € / ePub : 13,99 €, ISBN : 9 791094 689639

Une nuit d’avril, un homme est extirpé d’une voiture par quatre individus, battu, laissé pour mort. Mais il est découvert, les secours sont appelés. Sauvé ?

Le prologue est écrit/narré de manière limpide, dynamique. Des tessons de suspense saupoudrent le décor : la haine des agresseurs, le « bon droit » qui « anesthésie leurs doutes » ; la surprise de l’agressé ; la présence d’une instance narrative mystérieuse.

Sauvé ? La première partie, Catherine, débute avec le réveil de la victime dans une chambre d’hôpital. Le narrateur se demande où il est, qui il est, ce qui lui est arrivé. Rebaptisé Néo (!) par le personnel hospitalier, il apprend qu’on a failli le débrancher, personne ne l’a réclamé, il semble surgi du néant. Désemparé, il se raccroche à une doctoresse, Catherine Milan, dont les soins, l’attention (et l’attente ?) dépassent la norme. Continuer la lecture

Une vie en éclats

Un coup de cœur du Carnet

Annick WALACHNIEWICZ, Il ne portait pas de chandail, L’Arbre à paroles, coll. « If », 2018, 184 p., 18 €, ISBN : 9-782874-066665

walachniewicz il ne portait pas de chandailJe vous le concède, le nom de l’auteure n’est pas facile à retenir et pourtant, ce n’est en aucun cas une raison de rater le premier roman d’Annick Walachniewicz, Il ne portait pas de chandail, qui sortira dans quelques jours aux éditions de l’Arbre à Paroles, dans la collection narrative « iF ».

Tout commence à l’Ouest, en 2012, avec Dora et Hans qui viennent « lui » annoncer que son père, dont on apprendra bientôt qu’il est décédé en 2001, « était prisonnier dans un camp d’extermination.  Il travaillait dans les chambres à gaz, dans les fours. » Continuer la lecture

Quand la maladie est dépeinte avec minutie…

Joëlle VAN HEE, Mémoire en eaux troubles, Éditions du Jasmin, 2017, 228 p., 14,90 €, ISBN : 978-2-35284-110-4

van hee.jpgPartagée entre l’écriture et l’enseignement, Joëlle Van Hee nous avait jusqu’alors habitués aux contes et nouvelles, qu’elle nous narre avec brio. Elle nous propose ici un roman pour adolescents et adultes, où la relation à l’autre, celui qui oublie, qui nous quitte doucement, et qui pourtant nous guide, reste prédominante.

Le monde d’Antonin s’effondre lorsqu’il apprend que son grand-père est atteint de la maladie d’Alzheimer. Le voilà contraint de rencontrer son Papy dans une institution hospitalière où les compagnons d’infortune du grand-père évoluent, comme ils peuvent. L’adolescent assiste impuissant à la lente et inéluctable dégradation de son grand-père : la perte de ses facultés, de la parole, de son autonomie… ironie du sort que cette dégradation pour un commandant retraité de l’armée. « Un vieux Capitaine Crochet… avec le regard de Peter Pan. » Continuer la lecture

Cernes de famille

Chantal DELTENRE, La Forêt Mémoire, maelstrÖm, 2016, 110 p., 12 €

deltenreComment imbrique-t-on dans sa mémoire les souvenirs, doux ou douloureux ? Comment faire pour qu’ils se transfigurent, se floutent et ne nous digèrent pas tout cru ?
Dans La Forêt-Mémoire, la narratrice, encore enfant, a planté à son seul usage une canopée sensible imaginaire. Au plus profond, comme dans autant de boules à neige, elle peut à loisir éteindre ou animer les scènes qu’elle a vécues : Grande, la mamy aimante, en train de raccommoder un chandail. Grand, le pépé communiste, feuilletant Le Drapeau Rouge en quête d’une nouvelle manif où il l’emmènerait. La Ducasse d’Ath et ses Géants au dernier week-end d’août, les bords de la Dendre et la statue de Saint Antoine, qui veille sur la plus jeune occupante de la maisonnée. Il reste malgré tout des paysages qui grésillent bien trop à son goût, sous tension ou au mieux, vidés de tout lien. Des moments qu’elle ne maîtrise guère: tous ceux où apparaissaient ses parents, mariés très jeunes et comme encombrés de leur progéniture. Continuer la lecture

La mémoire-refuge face au monde en déroute

Michel JOIRET, Le Carré d’Or, M.E.O., 2015, 160 p., 16 €

joiret_ghysenPour colorer, réchauffer « le silence de la vie », une vie qui lui glisse entre les doigts, vide de joie, d’émotions, de sens, depuis la mort d’Hélène, son épouse chérie, l’avocat Maxime Dubreuil s’enveloppe du souvenir des jours enfuis. Continuer la lecture

« On ne fait que cela, répéter »

Jean-Pierre ORBANNous nous ressemblons tant, MaelstrÖm, 2015, 56 p., 6 €

orbanInutile de s’interroger sur le genre auquel appartient Nous nous ressemblons tant de Jean-Pierre Orban. Le lecteur, bien libre de convoquer le narrataire invisible du Camus de La Chute, le délire de Molloy, le désarroi des Six personnages de Pirandello ici ramenés à un seul, pourquoi pas même l’écorchement brellien de Ces gens-là, ne trouvera pas dans ces illustres références des besicles interprétatives d’un grand secours. Le ton donné est en tout cas celui de la confession embarrassée, hargneuse parfois, quand ce n’est un tantinet manipulatrice dans sa séduction de l’auditeur.

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Descente aux enfers

Marc PIRLETHistoire de Bruna, Murmure des soirs, 2014, 188 p., 10 €, ISBN : 978-2-930657-23-3

pirletAlerté par un ami, l’écrivain liégeois Marc Pirlet rencontre une rescapée des camps de la mort. Elle est d’origine polonaise, s’appelle Bruna, approche des nonante ans, et habite Seraing. Elle va lui confier pour la première fois le récit détaillé de l’enfer qu’elle a vécu. Continuer la lecture