Lune de miel à trois

Véronique SELS, Voyage de noces avec ma mère, Paris, Calmann-Lévy, 2015, 208 p., 16,50 €/ePub : 11,99 €

sels_ghysenVoyage de noces avec ma mère. Le titre surprend, intrigue, suggère une comédie pétillante d’ironie et de rires – un peu jaunes, peut-être.

Sur un ton vif, direct, volontiers familier, Anne, l’héroïne du troisième roman de Véronique Sels, nous raconte comment, venue annoncer à sa maman, Dana, que Raphaël et elle, fraîchement mariés, partaient pour la Californie en voyage de noces, lui a proposé imprudemment de les accompagner. Comme si son bonheur se devait d’être partagé avec celle qui, tout juste divorcée après vingt-cinq ans d’un mariage tumultueux, soupirait d’envie à la pensée de ces lointains horizons. Invitation aussitôt acceptée.

Mère et fille sont en tous points dissemblables. Autant la première, petite et très brune, est perpétuellement affairée, débordante d’énergie et d’aplomb, joyeusement péremptoire, autant la seconde, grande blonde aux yeux clairs, s’avoue inquiète, vulnérable, « dépendante et solitaire, civilisée et sauvage ».

Nous prenons donc notre envol avec cet improbable trio où le beau Raphaël, pondéré, rationnel, bienveillant, affligé d’un seul défaut : l’obsession de ne pas manquer les promotions et autres rabais mirifiques passant à sa portée, joue sa partition avec plus de bonne volonté que d’intuition.

À partir de San Francisco, une Ford Mustang décapotable nous conduit sur les routes de Californie. Paysages magnifiques. Étapes multiples. Découvertes foisonnantes. Anecdotes savoureuses, tel le dialogue entre Anne et un vénérable séquoia.

Mais aussi dissonances, égratignures, pincements au cœur. Très vite meurtrie, Anne se sent lésée, désemparée – en voyage d’amour, ô dérision. Elle sait qu’elle devrait s’en ouvrir à Raphaël, qui ne devine pas sa désillusion, sans quoi ils ne seront bientôt plus que « les ombres des amants qu’ils sont. […] Deux étrangers menant vie commune. » Pourtant, elle garde le silence.

selsEn revanche, les petites disputes crépitent au fil du périple. Car non seulement Dana bâtit d’autorité les excursions, orchestre les visites, forte des recommandations du guide détaillé qui ne la quitte pas, mais elle prescrit les règles de la cohabitation dans la Mustang. « Petit un, pas de toit décapoté au-dessus de trente milles/heure. Petit deux, pas de musique boom boom. Petit trois, pas de pause sandwich en dehors des heures de repas. Petit quatre, pas de sujets qui fâchent. Autrement dit, pas de sujet du tout. »

Vu d’un peu loin, c’est irrésistiblement comique. Mais si Anne tente de faire contre mauvaise fortune bon cœur et souriant visage, tout change, s’altère, quand elle s’aperçoit qu’ils sont suivis à la trace par un mystérieux inconnu qu’elle avait remarqué dans leur hôtel de San Francisco et appelé « l’homme sans valise ».

Le rose vire au noir, la balade californienne se transforme en course haletante pour échapper à celui qui se révèle un dangereux personnage quand, profitant d’un moment où la jeune femme se trouve seule, il lui propose un contrat révoltant, qu’elle refuse immédiatement. Mais il ne se décourage pas et, à chaque halte, la guette dans l’ombre, la presse de signer.

On est pris ou on décroche. De toute façon, on est abasourdi devant la cascade d’événements imprévisibles, sinon rocambolesques, qui clôt le roman.

La conclusion – la leçon ?! – figure en exergue, signée « Une jeune fille anonyme en colère » :

« Vous vous êtes émancipées des hommes. Fort bien. Mais il va falloir aussi vous affranchir de vos mères. »

Francine GHYSEN