Variations sur le temps

Rio DI MARIA, Rackets du temps, Arbre à paroles, 2014, 128 p., 12€

di maria_logistTout amateur qui est un jour (ou un soir) passé par la Maison de la poésie d’Amay a pu apprécier la présence chaleureuse, l’œil amical de Rio Di Maria, qui au fil des décennies, est devenu l’archive vivante d’une institution poétique qui vient de fêter ses vingt-cinq ans… Mais qu’il soit rappelé ici, avec la parution de ce précieux recueil, qu’il est aussi, et avant tout, un poète sensible et précis. Rio Di Maria, avec force et pudeur, nous donne aujourd’hui un livre dense, nourri de mémoire et d’exil, qui chante juste et vrai.

Le temps, au centre des préoccupations lyriques du poète, est jusque dans le titre, légèrement ambigu. En effet, le temps est-il présenté comme la victime ou comme l’auteur du racket ? Temps qui nous kidnappe ou temps volé ? Le poète se confie à ce propos : « Le temps des mots brouille la page / aiguise l’œil à l’alphabet géant / des écrits jamais lus    l’île grandit » et encore, avec la conviction du désespoir : « Le temps est l’enjeu ». Ou bien aussi : « Passe le temps et l’impasse / inlassablement impassible ». Au cœur de ces réflexions informelles, les pages qui reprennent l’enfance sicilienne, les origines modestes, l’appropriation d’une langue où la sagesse le dispute aujourd’hui à la concision. « On ne grandit jamais assis », nous confie Di Maria – arrivé en Belgique dans sa dixième année – qui a « appris à lire / entre machine à coudre lettres interdites / et enclume résistant à tous les coups / de promesses abritées dans la déchirure des lèvres / des livres jamais lus ». À l’arrivée, le poète fait flèche du bois de ce passé, flèche qui atteint la cible d’une identité enfin réconciliée : «  quand les visages se superposent / sachant qui nous ne sommes pas. »

Di Maria aime cultiver la forme brève et il lui arrive de produire, sans avoir l’air d’y toucher, en cours de poème, quelque aphorisme d’une superbe facture. Qu’on en juge : « Qui déguise l’œil arme la bouche » ou « Les champs de blé ne trahiront pas la peur des coquelicots. »

Qu’on ne s’y méprenne pas, ce recueil, s’il est grave, est tout sauf un testament. Plutôt une nouvelle manière de s’accomplir par la poésie. La violence y est canalisée ; le temps n’est pas encore compté et l’optimiste aura toujours le dernier mot : « Chacun rêve sa nuit / et les jours s’ouvrent. »

Karel Logist