Un coup de coeur du Carnet
Emilie GÄBELE
Des êtres avancent dans une ambiance caniculaire. L’air se fait lourd. La nébulosité augmente. Un obstacle et ils trébuchent. La chute était inévitable. Certains se relèvent rapidement. D’autres, aux abois, plongent « pour un instant, pour un instant seulement », ou pour une plus longue durée. Ces hommes et ces femmes parcourent les villes, à pied ou en voiture, errent dans leurs pensées, leur passé, leurs rêves. Ce sont tous de grands blessés. Certains ont été amputés d’une femme, d’une dignité, d’un rêve, d’autres d’une carrière, d’une voix, d’un ami, d’une raison… Ils avancent claudicant, bien souvent seuls, l’ombre d’une peur inconnue leur collant à la peau.
Dans ces neuf nouvelles, Michel Lambert croque des instants de vie. Un chef d’entreprise sans scrupules convoque son ami et plus fidèle employé. Un couple parcourt des kilomètres en voiture à la recherche de la promenade parfaite, d’un rêve d’amour impossible. Guillaume, quant à lui, vit un rêve éveillé, essayant tant bien que mal de se débarrasser d’un épisode passé qui lui trotte en tête et le suit partout tel un chien perdu. Astier revient chaque année à Ostende et arpente ces lieux qui ont vu ses temps de gloire et sa disgrâce, tandis qu’un autre homme refait souvent la balade qu’il faisait avec son ex. Adrienne croise un metteur en scène avec qui elle a travaillé, à présent malade et sur le déclin. Un ancien présentateur radio, qui a tout perdu, cherche désespérément une femme, le jour de la fin de monde. Le monde justement ne tourne pas rond pour Princesse dont on est sans nouvelles. Tony, enfin, refait surface. Mais a-t-il toujours cette assurance qui lui collait à la peau ? Renvoie-t-il encore cette image de succès ?
Avec Quand nous reverrons-nous ?, Michel Lambert signe son huitième recueil de nouvelles. Avec sa plume taillée tel un pinceau, il dessine une fois encore magnifiquement les contours de différentes trajectoires de vie, tous ces petits détails qui disent beaucoup. Nous parcourons quelques pas avec ses personnages, le temps d’une balade, le long d’un canal, au clair de lune ou dans une ville à l’ambiance électrique. Des influences picturales sont indéniables, notamment dans la nouvelle « Une promenade parfaite » qui s’inspire de deux oeuvres d’art : une lithographie de David Lynch et une huile sur toile d’Edward Hopper. Constamment à la recherche de la couleur adéquate, de ce « noir transparent » qui illumine le ciel nocturne, Michel Lambert convoque une riche palette de couleurs, allant du noir le plus total au blanc le plus pur. Car derrière l’obscurité se cache toujours une petite lumière.
Le poids du passé, la nostalgie qui en découle, les joies et les malheurs antérieurs, sont très présents. On se revoit à son premier rendez-vous, jeune et aimé, plein d’espoir, riche et adulé… On repense parfois à la première fêlure, à cette première fois où tout a basculé. Ces nouvelles sont également très métaphoriques. Sans cesse, le regard des protagonistes se tourne vers le ciel, cet infini porteur de tous les possibles, d’ambiances orageuses ou d’« un bleu impavide et égoïste, à des années-lumière de ce qui se joue ici-bas ».
« Quand nous reverrons-nous ? » On ne sait pas. La suite est incertaine, tout comme souvent ce qui s’est passé en amont. C’est l’instant présent qui compte. On fantasme de tout reprendre à zéro. Il faut s’accrocher, repartir coûte que coûte, se dire « que rien n’est perdu, vous refaites le plein, et vous reprenez la route ».
Michel LAMBERT, Quand nous reverrons-nous ?, Paris, Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2015, 192 p., 19,50€