Giovanni LENTINI, J’irai plus loin, Cerisier, coll. « Faits et gestes », 2015, 128 p., 11€
Il est des vies qui ressemblent à des voyages ferroviaires, avec leurs horaires fixes, leurs itinéraires balisés, leurs correspondances définies. Claire Collin, quarante ans, mariée, deux enfants, mène une existence toute tracée, sur les rails parallèles de son activité professionnelle et des tâches domestiques :
L’expression métro-boulot-dodo a sûrement été inventée par un homme qui commence sa journée au moment de se rendre au travail. La mienne débute quelques heures avant de me poster sur un quai de gare et se termine quelques heures après être rentrée. Des journées de quinze heures, payées huit heures : travail domestique-train-boulot-train-travail domestique-dodo. Cela sonne moins bien à l’oreille mais c’est plus proche de mon quotidien.
Depuis une décennie, Claire enchaîne les Liège-Bruxelles, Bruxelles-Liège pour aller officier en tant que banquière dans une agence de la capitale. Ses compagnons de banquette sont au nombre de trois : Josiane, la « chouette copine », accro’ aux petits potins des magazines et à l’horoscope, le cœur sur la main, et de profondes douleurs enfouies en elle ; Madou, la femme fatale, qui a arraché à la destinée tout ce que cette dernière ne lui offrait pas et qui s’épanouit désormais dans la sphère de la Culture et du Cinéma ; et Simon, le syndicaliste convaincu, aux engagements sincères qui secouent les consciences. Les Mousquetaires navetteurs se retrouvent ainsi bi-quotidiennement et, le temps d’un trajet, partagent impressions sur le monde, regards complices et silences rêveurs. De menus incidents et les traits poético-humoristiques du poinçonneur Henri rompent parfois l’engourdissement ambiant, mais tous arrivent toujours à bon quai.
Et puis il y a ce fameux deux mille deux cent quatre-vingt-quatrième jour où Claire décide d’arrêter de voir défiler son histoire « banalement ordinaire » à travers une vitre de la SNCB. Refusant d’être fût-ce un kilomètre de plus la spectatrice de la linéarité des événements, elle sort des sentiers ferrés et suit les lignes d’horizon aux couleurs des peintures d’Ensor, aux contours du tango, aux promesses des rencontres. Le vrai voyage peut commencer…
Samia Hammami