Emmanuèle SANDRON, Je ne te mangerai pas tout de suite, Avin, Luce Wilquin, coll. « Euphémie », 2015, 128 p., 12 €
La meilleure école d’écriture est la lecture, entend-on parfois. Peut-être traduire mène-t-il encore plus sûrement vers l’écrit ? La preuve par Emmanuèle Sandron qui publie un recueil de nouvelles, Je ne te mangerai tout de suite, où l’art de la narration se double d’une écriture ciselée.
Après plus de dix ans de silence qu’elle a consacrés à des traductions multiples, Emmanuèle Sandron revient à son œuvre personnelle entamée avec trois ouvrages déjà publiés chez Luce Wilquin : Le double fond, Celtitude et Sarah Malcorps, court récit qui trouve écho dans ce recueil. La traduction d’une quinzaine de polars du Brugeois Pieter Aspe chez Albin Michel, mais aussi de nombreux romans pour la jeunesse, a apporté à Emmanuèle Sandron une maturité d’écriture clairement perceptible dans ses dernières nouvelles, tant dans leur diversité que dans leur originalité.
Le recueil commence d’emblée avec un texte hallucinatoire, au rythme progressif, qui raconte une violence rentrée, suggérée. A contrario, le suivant offre une promenade bucolique où deux femmes échangent tout en pudeur, tendresse et poésie. Changement de décors avec « Place des Innocents » qui se déroule à Paris et met en scène avec délicatesse un amour inaccompli, resté dans cette attente où « chacun est rendu à soi-même ». Nouvelle sur le désir également avec « Heidegger jouait au volley dans la cour ». Une perle dans laquelle l’auteur mêle les niveaux de lecture. À l’occasion d’une fête d’anniversaire étrange, les souvenirs se télescopent dans l’esprit de la narratrice : des bribes de son enfance, du vécu de ses parents remontent à la surface avec un mélange d’amour, de honte et de culpabilité. Lui succède un texte halluciné, né de la rencontre de deux femmes à nouveau, qui prend à la gorge sur des souffrances ultimes : celles d’un inceste et d’un viol. Changement assez radical de registre ensuite, avec une nouvelle érotique qui vous fera connaître le faugeuil, qu’on vous laisse découvrir. Un texte tout en sensualité qui révèle une femme à elle-même à travers divers états de son désir.
Le dernier texte offre une synthèse de l’ensemble, en convoquant aux funérailles d’Éléonore, narratrice récurrente, les personnages rencontrés précédemment. La cérémonie est orchestrée par la peintre Éléonora. On notera à cette occasion qu’Emmanuèle Sandron joue avec les codes de l’autofiction, puisqu’Éléonora est le prénom de l’artiste Pasti, qui a illustré la couverture de ses cigales. Un jeu auquel vous êtes vivement invités à participer.
Michel TORREKENS