Archives par étiquette : espace-livres

Hainaut noir

Francis GROFF, Orange sanguine, Weyrich, coll. « Noir Corbeau », 2020, 200 p., 17 €, ISBN: 9782874896040

Avec six romans à l’enseigne du « Noir corbeau », la collection éponyme des éditions Weyrich prend son envol dans le paysage de la littérature  policière. La Belgique francophone s’est déjà illustrée – et de quelle façon ! – dans  la production de romans noirs.  S’il fallait nous en convaincre, ou simplement nous en informer, la Petite histoire du roman policier belge, un ouvrage de passion érudite signé Christian Libens, qui dirige la collection dont il est à l’origine, évoquera la lignée dont Francis Groff est issu. On y retrouve les noms des deux patriarches, Simenon et Stanislas-André Steeman, suivis des Nadine Monfils, Pascale Fonteneau, Barbara Abel, Baronian, Colize et autres Delperdange. Du côté flamand, les rayons des bibliothèques et librairies ne sont pas dépourvus non plus de ces romans qui appartiennent pleinement à la vraie littérature. Ils sont autant d’explorations de l’âme humaine, mais aussi de nos sociétés. Ce n’est pas le lieu ici de développer la capacité d’un roman policier à nous dévoiler un pays, une société, une ville, un mode de vie, une époque. Le roman policier, quel que soit le nom qu’on lui donnera (thriller, roman noir, detective story…), nous entraîne dans le sillage de sa lecture à la découverte de cet « homme nu » que Simenon n’a cessé de débusquer, mais aussi de cette « société nue » que des écrivains comme Peter May, Pierre Lemaître, Boris Akounine, Xiaolong Qiu, et tant d’autres explorent dans toutes les littératures du monde. Continuer la lecture

Le roman, cette fable du siècle

Pierre MERTENS, Les bons offices, Seuil, coll. « Points. Signatures », 2019, 564 p., 11.40 €, ISBN : 9-782757-881699

On ne soulignera jamais assez combien la littérature francophone de Belgique, lorsqu’elle est mise en valeur dans des éditions de prestige, retrouve la place qui lui revient, dont les effets de mode ou de réputation, et l’absence de vraie promotion l’éloignent trop souvent. Comme d’autres écrivains belges – les « référents » historiques, comme De Coster, Lemonnier , Plisnier, mais aussi les contemporains comme Harpman, De Decker, Jones, Ayguesparse pour n’en citer que quelques-uns parmi les romanciers et nouvellistes –, Pierre Mertens a pris place parmi les « classiques » de la littérature française.  À son œuvre, dont on voit aujourd’hui avec le recul des années, et au terme d’une quinzaine de romans et recueils de nouvelles, l’importance et la cohérence, il manquait d’entrer dans une collection patrimoniale internationale de référence. C’est chose faite dorénavant, au moins pour un des romans, Les bons offices, les plus significatifs de la bibliographie mertensienne. Le Seuil a été particulièrement bien inspiré de l’insérer dans sa prestigieuse collection de poche « Signatures ». Elle réunit quelques figures de proue, dont les œuvres sont autant de balises incontournables lorsqu’il s’agit pour la littérature de prodiguer les indispensables instruments de compréhension du monde. Continuer la lecture

Marguerite Yourcenar, actuelle

Marguerite Yourcenar

À l’occasion du trentième anniversaire du Centre International de Documentation Marguerite Yourcenar (CIDMY), et de la sortie du film de Françoise Levie, Zénon l’insoumis, Entre Marguerite Yourcenar et André Delvaux, revisitons l’œuvre de l’autrice des Mémoires d’Hadrien, de L’œuvre au noir au travers d’un double entretien avec Michèle Goslar, fondatrice du CIDMY, et avec la réalisatrice Françoise Levie. Continuer la lecture

Décès d’Anne Richter

Anne Richter

Anne Richter

Nous apprenons le décès de la nouvelliste et essayiste Anne Richter, née à Bruxelles en 1939. Licenciée en philologie romane, elle s’est spécialisée dans le fantastique – avec une attention particulière pour les romancières -, auquel elle a consacré essais et anthologies, tout en écrivant elle-même de nombreuses nouvelles dans cette veine. Continuer la lecture

Matriochka de Philippe Remy-Wilkin

Philippe REMY-WILKIN, Matriochka, Samsa, 2019, 60 p., 9 €, ISBN : 978-2-87593-209-9

Philippe Remy-Wilkin orne la signature de ses courriels et les notices bibliographiques le concernant de la mention « auteur littéraire » qu’il semble affectionner. Sans doute cette formulation embrasse-t-elle davantage la diversité éditoriale des écrits de celui qui est à la fois essayiste, critique littéraire, nouvelliste et romancier. Philologue de formation, Philippe Remy-Wilkin est passionné d’Histoire et nous a donné déjà une remarquable étude consacrée à Christophe Colomb, Christophe Colomb, Le découvreur et la découverte : mythes et réalités. On lit aussi régulièrement ses chroniques sur Karoo et Le Carnet et les Instants, de façon épisodique ses nouvelles dans la revue Marginales, et ses prises de position sur les réseaux sociaux.

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Tout le reste est littérature

Jacques DUBOIS, Tout le reste est littérature, entretiens avec Laurent Demoulin, Impressions nouvelles, 2018, 240 p., 17 € / ePub : 9.99 €, ISBN : 978-2-87449-574-8

dubois tout le reste est litteratureL’entretien littéraire est un genre littéraire en soi, qui non seulement peut s’avérer une source historiquement inestimable comme témoignage vivant d’un temps réel (Paul Léautaud avec Robert Mallet en 1950, André Breton et André Parinaud en 1952), mais également, en ce qu’il révèle une part de création littéraire inédite : quand Modiano soumet à l’interrogatoire Emmanuel Berl (en 1976), ou lorsque Pivot laisse le champ libre à Marguerite Duras (en 1984), on est bien obligé de reconnaître qu’il se dessine là autre chose qu’un simple question/réponse : dans l’entretien, l’écrivain parvient à se donner la parole, et à s’approprier une forme de discours (construit souvent, mais pas toujours) qui font intervenir des éléments que précédemment un texte littéraire de l’auteur n’a pas toujours pu, ou voulu, dévoiler. Continuer la lecture

L’« effet mère »

Élise BUSSIÈRE, Mal de mère, Mols, 2018, 128 p., 15,90 €, ISBN : 978-2-87402-238-8

bussiere mal de mere.jpgOn le scande depuis plusieurs décennies : « La maternité doit être un choix libre et réfléchi. » Certes, mais avoir le choix, décider de devenir mère, se penser mère, entre immanence et liberté morale, nager dans les courants des « avoir un enfant, c’est formidable ! », du sacro-saint mythe de la bonne mère et des « cela va de soi » prétendument maternels ; choisir de donner la vie, se transformer en une jeune accouchée et sombrer, être engloutie… Un fait qui touche à l’indicible, une parole qui semble inaudible que le deuxième roman d’Élise Bussière libère. Continuer la lecture

Décès de Philippe Roberts-Jones

JonesPhilippe Roberts-Jones, né le 8 novembre 1924, est décédé ce 9 août 2016. Historien de l’art, il a été conservateur en chef des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique. Il laisse aussi une oeuvre littéraire riche de nombreux recueils de poèmes et de nouvelles, publiés sous le nom de Philippe Jones. Il était membre de l’Académie royale de langue et littérature françaises de Belgique.  Continuer la lecture

Un deuil hors norme

Pascale de TRAZEGNIES, Le Mort, Neufchâteau, Weyrich, coll. « Plumes du Coq », 2016, 97 p.

trazegnies_pirauxLou est de retour à Bruxelles, ville de sa jeunesse, pour y retrouver sa mère et rendre visite à la dépouille mortelle de son père. Lou vient donc de perdre son père. Ou plutôt, le père de Lou vient de mourir. Car on comprend vite que ces deux-là se sont perdus depuis longtemps et que les liens entre Lou et ses parents sont loin d’être forts. Pourquoi ? Comment cette famille en est-elle arrivée à des rapports si mécaniques ? Le lecteur ne le saura pas. Tout au plus sera-t-il informé de l’existence d’une maîtresse et d’une fille illégitime mais aucun détail de l’histoire familiale ne lui sera confié. Continuer la lecture

Quand « je » est un autre…

Un coup de coeur du Carnet

Patrick DELPERDANGE, Si tous les dieux nous abandonnent, Paris, Gallimard, 2016, 229 p., 17 €/ePub : 11.99 €

delperdangeIls s’appellent Céline, Léopold, Josselin. Ils n’ont a priori rien en commun. Elle, sociologue un peu paumée ; eux, voisins dans un patelin tout aussi paumé, noyé dans une nature sombre et inhospitalière… Céline, en fuite après avoir poignardé son violeur ; Léopold, vieux veuf qui la ramassera sur le bord de la route, un soir glacial de décembre, et qui la ramènera chez lui, dans sa vieille ferme délabrée ; Josselin, demeuré obsédé – obsédé demeuré ? – dont les quelques rares neurones en état de marche ont dangereusement élu domicile dans l’entrejambe. Continuer la lecture

Les ravissements d’une rêveuse

Un coup de coeur du Carnet

Corinne HOEX, Valets de nuit, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 2015, 160 p., 14 €:ePub : 9.99 € ; Corinne HOEX et Véronique GOOSSENS, Les Mots arrachés, Liège, Tétras Lyre, 2015, s.p., 15 €

hoex-valetsDites 33 et vous rencontrerez autant de personnages dans Valets de nuit, le dernier livre en prose de Corinne Hoex, lesquels vous seront tout dévoués comme l’indique leur titre. Peut-être pas tout le temps, mais en tout cas la nuit, quand vous rêvez. Est-on responsable de ses rêves ? Bien sûr que oui. Inconsciemment sans doute, à ceci près qu’ils correspondent probablement plus à un désir informulé ou informulable qu’au hasard de la position du dormeur ou à la qualité de son matelas. Ce sont ces rencontres furtives, totalement fantasmées ou secrètement souhaitées que nous racontent les trente-trois textes courts, économes, incisifs du volume. Continuer la lecture

« Une Belgique sentimentale et buissonnière »

Un coup de coeur du Carnet

Jean-Baptiste BARONIAN, Dictionnaire amoureux de la Belgique, Paris, Plon, 2015, 780 p., 25 €/ePub : 15.99€

Le principe de la collection « Dictionnaire amoureux » chez Plon est bien connu : il est demandé à un spécialiste, un passionné, un connaisseur patenté de constituer, à propos de son sujet de prédilection, un abécédaire où la sensibilité le disputerait à l’érudition et où, au souci de l’exhaustivité scientifique, se verrait préférée la cartographie personnelle. Continuer la lecture

Portraits d’Éléonore

Emmanuèle SANDRON, Je ne te mangerai pas tout de suite, Avin, Luce Wilquin, coll. « Euphémie », 2015, 128 p., 12 €

sandronLa meilleure école d’écriture est la lecture, entend-on parfois. Peut-être traduire mène-t-il encore plus sûrement vers l’écrit ? La preuve par Emmanuèle Sandron qui publie un recueil de nouvelles, Je ne te mangerai tout de suite, où l’art de la narration se double d’une écriture ciselée. Continuer la lecture

Une joie pour la vie

Éric-Emmanuel SCHMITT, La nuit de feu, Paris, Albin Michel, 2015, 188 p., 16 € / epub : 10.99 €

La Nuit de Feu par SchmittAlors âgé de vingt-huit ans, Éric-Emmanuel Schmitt vit, dans le sud algérien, ce que l’on appelle communément « l’expérience du désert ». Une expérience réputée changer, parfois durablement, le regard sur le monde et sur la vie. C’est peu dire dans le cas de Schmitt qui, parti foncièrement athée dans le Hoggar, en est revenu croyant convaincu. (Sans toutefois – Dieu merci ? – chercher à affubler d’une identité particulière la force divine qu’il dit l’avoir emporté et marqué à jamais de son empreinte). C’est cette « nuit de feu » qui lui a inspiré le titre de son livre, en référence à l’illumination vécue par Pascal et à ces mots brûlants inscrits dans la doublure de veste du « Monsieur de Port-Royal ». Mais pourquoi Éric-Emmanuel Schmitt, auteur de quantité d’ouvrages, a-t-il attendu vingt-cinq ans avant de se décider à rendre publique cette expérience d’une nature par ailleurs profondément intime et, comme il le suggère, proche de l’indicible ? Il s’en explique en évoquant sa rencontre avec une journaliste protestante très étonnée que l’auteur d’une œuvre souvent marquée par la tragédie humaine puisse manifester au quotidien une telle équanimité et un tel amour de la vie. D’où la réponse dans ce livre où le vécu singulier de l’homme éclaire aussi l’œuvre de l’écrivain. Mais que s’était-il passé il y a un quart de siècle ?

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Les sept mélancoliques

Pierre KUTZNER, La femme qui ne voulait plus faire l’amour, Marcinelle, Éditions du CEP, 2015, 93 p., 12 €

kutznerPierre Kutzner n’est pas vraiment inconnu dans le petit monde des Lettres et des arts belges : on lui doit des nouvelles, des articles et une récente monographie consacrée à l’artiste Fabienne Havaux[1]. Le sexagénaire signe, en cet été 2015, son tout premier ouvrage de fiction – un recueil de nouvelles : La femme qui ne voulait plus faire l’amour. Continuer la lecture

Par saint Georges!

Un coup de coeur du Carnet

Jean-Pol HECQ, Georges et les dragons, Luce Wilquin, 2015, 173 p., 17€, ISBN : 978-2-88253-504-7

hecqEn 1927, Max s’installe pour quelques temps dans une auberge située au centre de la ville de Mons. Journaliste hollandais maitrisant parfaitement la langue de Verhaeren, il prétend faire un reportage sur la reconstruction de l’après-guerre pour en fait enquêter discrètement sur un certain Georges, un cousin éloigné. Aidé dans ses recherches par un Borain de souche, Max progressera lentement : difficile en effet de trouver un Montois inconnu disparu en 1914 et portant ce prénom si répandu. Continuer la lecture