Pascale TOUSSAINT, C’est trop beau ! trop !, Bruxelles, Samsa, 2015, 270p., 24€
L’ouvrage de Pascale Toussaint est une anthologie thématique qui met en valeur cinquante écrivains belges. Face à un marché qui possède déjà quelques anthologies de littérature belge de qualité, on est en droit de se poser la question de l’intérêt d’un nouveau recueil de ce type. C’est guidée par cette question que je me suis plongée dans C’est trop beau ! trop ! afin de vous livrer ses lignes de force…
Après avoir laissé la parole à Jean Louvet dans la préface, l’auteure nous livre les grandes lignes de l’histoire de la Belgique avant de nous proposer dix thèmes de son choix, représentés par des auteurs dont nous pouvons lire une brève biographie et quelques extraits de leurs textes. De prime abord, rien de bien original, mais en réalité, ce qui démarque cette anthologie des autres est la casquette d’enseignante de Pascale Toussaint que l’on ressent à travers les choix effectués. Le titre nous donne déjà le ton : « C’est trop beau ! trop ! » est une phrase écrite par Rimbaud lorsqu’il découvrit Bruxelles. L’auteure espérerait-elle que ses élèves, à qui elle dédicace ce livre, lui lancent ce même cri du cœur à la lecture des extraits ?
Cette anthologie est plaisante à lire car nous ne sommes pas face au nouveau « Lagarde & Michard » de la littérature belge. Pascale Toussaint a en effet l’intelligence de ne pas tomber dans le piège de nous assommer de détails sans grand intérêt pour comprendre l’âme belge. Car c’est de cela qu’il est question. De l’histoire de Belgique, nous n’aurons un rappel que des événements qui serviront la compréhension des textes du recueil. Des auteurs sélectionnés, nous accéderons uniquement aux piliers qui ont fait ce qu’ils ont été ou sont (leurs parents, l’atmosphère de leur enfance, leur formation, leur carrière et les genres auxquels ils se sont essayés) et surtout, leur positionnement par rapport à leur identité belge. Tantôt déniée jusqu’à l’abrogation, tantôt revendiquée comme un étendard, parfois assumée selon certaines nuances, l’âme belge ne laisse aucun auteur indifférent. Ainsi, pour Rodenbach, « [q]uant à faire de la littérature en Belgique, m’est avis que c’est inutile et impossible ».
Là où on sent également l’empreinte pédagogique de l’auteure, c’est quand elle rapproche des textes d’auteurs belges de ceux du patrimoine classique (Verlaine, Zola, Prévert, Brecht,…) ou quand elle renvoie à quelques films récents pour pousser à approfondir la réflexion (par exemple, le réalisme de Constant Malva est comparé à celui des frères Dardenne, La salle des profs de Liliane Wouters est rapprochée du film Entre les murs de Laurent Cantet). On peut même lire parfois une petite explication éclairante pour les lecteurs dont l’esprit critique n’est pas encore assez aiguisé : « [en parlant d’Une paix royale de Pierre Mertens] Il y serait porté atteinte à l’honneur de la famille royale. Deux passages sont soumis à la censure […] Cet événement est grave à double titre : on dénie à l’écrivain à la fois sa liberté de créer et sa position d’intellectuel engagé. »
Pascale Toussaint propose une très brève analyse de chaque extrait, généralement centrée sur un élément intéressant du texte présenté. Elle nous laisse là un goût de trop peu, les limites de ses analyses n’étant pas clairement explicitées. Par contre, elle se rattrape dans le dossier pédagogique proposé avec l’anthologie (on peut l’obtenir assez rapidement en format électronique sur simple demande), où une série de questions sur la forme, le contenu sont évoquées, mais aussi des questions transversales (par exemple, s’interroger sur la condition des femmes aux XIXe et XXe siècles). Des exercices intéressants de lecture, d’écriture et de recherche documentaire (analyser des films, visiter des musées, créer des collages,…) sont également proposés et tout cela, dans le respect des nouveaux programmes de l’enseignement du français. Les enseignants y trouveront des idées très chouettes pour créer de belles leçons pleines de sens afin de susciter la naissance d’esprits éclairés !
Par ailleurs, chaque extrait présenté dans le recueil est mis en lien avec une œuvre artistique belge, généralement une peinture. Une initiative intéressante, mais légèrement frustrante car les illustrations sont reproduites en noir et blanc et dans un format très petit, ce qui nous laisse peu de place pour « sentir » l’écho entre l’extrait et la figuration picturale.
Nous avons également l’occasion de lire des anecdotes savoureuses qui nous font entrevoir qui étaient les auteurs de notre patrimoine. Ainsi, nous apprenons que Simenon a eu 27 pseudonymes, que Nougé a déménagé 36 fois, que Pelléas et Mélisande comporte 489 points de suspension et 232 points d’exclamation et que Gaston Compère a participé à l’émission télévisée littéraire Apostrophes de Bernard Pivot.
L’originalité de cette anthologie réside dans la passion contagieuse de l’auteure, qui se veut davantage « complice de cette histoire qu[e] de l’Histoire ».
Tout cela veut témoigner de l’originalité de la littérature belge et rappeler la nécessité de la distinguer de la littérature française. Nous vous invitons à lire les Belges, classiques et contemporains. Notre littérature a et aura encore beaucoup à nous donner.
On retrouve aussi cette ardeur dans la citation de Pierre Mertens qui ouvre le recueil :
Je m’en remets à la lecture pour nous sauver.
Le droit à la littérature est un droit de l’homme
Séverine RADOUX