Un coup de coeur du Carnet
Patrick DELPERDANGE, Si tous les dieux nous abandonnent, Paris, Gallimard, 2016, 229 p., 17 €/ePub : 11.99 €
Ils s’appellent Céline, Léopold, Josselin. Ils n’ont a priori rien en commun. Elle, sociologue un peu paumée ; eux, voisins dans un patelin tout aussi paumé, noyé dans une nature sombre et inhospitalière… Céline, en fuite après avoir poignardé son violeur ; Léopold, vieux veuf qui la ramassera sur le bord de la route, un soir glacial de décembre, et qui la ramènera chez lui, dans sa vieille ferme délabrée ; Josselin, demeuré obsédé – obsédé demeuré ? – dont les quelques rares neurones en état de marche ont dangereusement élu domicile dans l’entrejambe.
L’intrigue s’installe très rapidement ; Patrick Delperdange capte l’attention du lecteur dès les premières pages, à mesure qu’il confronte celui-ci avec les différents protagonistes, dont le côté marginal ne tarde pas à faire surface. Les chapitres, particulièrement courts, alternent le point de vue des trois personnages, qui mettent des mots sur leurs rencontres, qu’elles soient fortuites ou provoquées, et dévoilent les pensées les plus intimes qu’elles leur inspirent.
Si bien qu’on se sent véritablement captivé par le destin de ces antihéros, qui, malgré ou peut-être à cause de leur côté bordeline, semblent, paradoxalement et de manière assez dérangeante, si proches, voire familiers. Ce récit à trois voix, dont le style est adapté au personnage (Où c’est qu’on va ?, questionne Josselin), presque sélection d’extraits de journaux intimes – ceux d’une jeune femme nulle part dans la vie, d’un vieux un peu sénile hanté par la mort de sa femme, d’un crétin submergé par sa libido –, se lit comme une tranche de vie rurale, retentit comme un sordide fait divers (d’hiver !)… Par la structure très dynamique du roman et l’écriture originale, le lecteur, immergé dans le récit, recueille l’histoire de Céline, Léopold et Josselin, tel un confident, témoin, parfois bien malgré lui, des sentiments et états d’âme.
Par l’intermédiaire de ce trio et de personnages secondaires, extrêmement bien pensés eux aussi, l’auteur explore toute la complexité des relations humaines – amicales et fraternelles, amoureuses et sexuelles –, qui se révèlent souvent indécentes, glauques, presqu’obscènes. Dans ce roman très sombre, tous ne sont pas exactement ce qu’ils laissent paraitre ou voudraient être ; tous cachent une part d’ombre, comme un secret inavouable et/ou bien enfoui ; tous portent le poids de leur propre histoire, un fardeau qui semble toujours peser plus lourdement.
Et une fois le livre refermé, alors qu’on songe encore à Céline, Léopold et Josselin, Jeanne, Maurice, Christelle, Nanou et les autres, des impressions contradictoires – celles-là même qu’on avait ressenties dès le début de la lecture – nous poursuivent. Le dégoût pour ces individus, certains viciés jusqu’à la moelle, laisse souvent la place à un sentiment de pitié, d’indulgence même, presque de compassion… N’avons-nous pas tous un autre qui sommeille en nous ?
Marie DEWEZ
♦ Lire un extrait de Si tous les dieux nous abandonnent proposé par les éditions Gallimard
♦ Une interview de Patrick Delperdange à propos de Si tous les dieux nous abandonnent, sur espace-livres.be
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