Archives par étiquette : Éléments de langage

L’évidence des dieux

Un coup de cœur du Carnet

Luc DELLISSE, Parler avec les dieux, Éléments de langage, 2022, 70 p., 14 €, ISBN : 978-2-930710-22-8

dellisse parler avec les dieuxIl est des mots que le pluriel trivialise. La multiplication ne leur sied pas, ils y perdent leur jalouse exclusivité, leur pouvoir absolu. Mais s’appliquant à « Dieu », le pluriel permet de renouer avec une dimension singulière de la divinité : « C’est un sentiment diffus, un rêve, le souvenir d’un rêve ».

Les lecteurs de la poésie et des nouvelles de Luc Dellisse savent le rapport privilégié, amoureux même, qu’il entretient avec l’idée de risque. Ils en feront à nouveau l’expérience, avec un cran d’audace supplémentaire, en suivant le dialogue qu’il ose entamer avec « les dieux ». En païen ? L’étiquette a connu trop de démêlés avec le monothéisme pour être clairement définie, trop de déviances avec un ésotérisme tantôt folklorique, tantôt inquiétant, pour ne pas être disqualifiante. En artiste, alors ? Les artistes ont parfois de grandes difficultés à se quitter des yeux et redoutent que même l’invisible les éclipse. Les dieux sont rarement leur affaire. Continuer la lecture

Le parent, l’étiolement

Claire PONCEAU, L’enfant, l’étoilement, Photographies France Dubois, Éléments de langage, 2020, 149 p., 20 €, ISBN : 978-2-930710-20-4

ponceau l enfant l etoilementL’enfant n’a pas été conçu non, ce n’était pas prévu, je n’ai jamais prévu beaucoup de choses. Prendre un sac, pour les courses, le nombre de culottes correspondant au nombre de journées plus deux, oui. Je n’ai pas conçu l’enfant. Avec l’enfant, il a tout fallu concevoir.

Le prénom et le sexe de cet enfant viendront plus tard. Quand l’enfant n’est pas voulu, il est possible de protéger ses sentiments en s’imposant une distance par rapport au sujet ; alors traité plutôt comme objet. D’un point de vue littéraire, la plume permet d’en parler à la troisième personne, cela aide. Cependant, la proximité et le trouble sont si grands qu’ils remettent tout en cause grammaticale, lexicale, syntaxique. Continuer la lecture

Des terres inhospitalières

Astrid Chaffringeon, Je ne chasse pas sur mon territoire, Éléments de langage, 2020, 224 p., 15 €, ISBN : 978-2-930710-21-1

chaffringeon je ne chasse pas sur mon territoireLa narratrice, une photographe d’origine espagnole, revient sur son parcours parsemé d’embûches, ses relations, ses rencontres, sa carrière, ses années à Paris, à Durbuy, sa résidence d’artiste sur une île finlandaise… Elle nous prévient d’entrée de jeu : nous aurons besoin de tous les éléments pour bien comprendre son histoire. Le récit, qui n’est pas linéaire, vagabonde entre ses pensées. De digression en digression, nous apprenons qu’elle est en prison. Depuis sa cellule, elle entraîne le lecteur dans son récit afin de savoir ce qui l’a amenée là. Continuer la lecture

« Son Bateau ivre »

Rony DEMAESENEER et Alain MUNOZ, L’habitude (presque) rassurante des départs, Éléments de langage, 2019, 106 p., 15 €, ISBN : 978-2-930710-18-1

Collectionneur passionné de Rimbaud, père d’un Arthur de quatre ans, Rony Demaeseneer bâtit avec ce recueil de fragments, son propre Bateau ivre. Tel celui de Thésée, il le construit avec des souvenirs familiaux épars depuis Prague jusque Bruxelles. Cette ligne de huit cents kilomètres d’Est en Ouest, par-dessus le 50e parallèle, tisse son identité et son récit d’un fil à la fois géographique et généalogique ; de ses grands-parents à son fils, ultime destinataire de ce long poème très dense. Continuer la lecture

Une annonce immobilière des plus particulières

Un coup de cœur du Carnet

Astrid CHAFFRINGEON, Chambre avec vue, illustrations Claire Morel, Éléments de langage, 2018, 60 p., 10€, ISBN : 978-2-930710-16-7

chaffringeon chambre avec vueN’avez-vous jamais été totalement subjugué.e, emporté.e par un paysage ? Un lieu qui, d’un seul coup, semble vous envelopper entièrement et vous retenir au creux de son ventre. Un endroit qui vous reste dans la tête, qui continue inlassablement à vous appeler, de jour comme de nuit, qui, comme un amant terriblement envoûtant, vous attire à lui, vous caresse et vous absorbe. Bref, n’êtes-vous jamais tombé.e amoureux.se d’une vue, d’un paysage ou d’un monument, au point que tout le reste devienne futile, encombrant, décevant ? C’est ce qui arrive à la narratrice un peu perchée de Chambre avec vue. Continuer la lecture

Vendre et se vendre

Laurent HERROU, Le petit mot, Éléments de langage, 2018, 80 p., 10 €, ISBN : 978-2-930710-15-0

herrou le petit mot.jpg« J’ai commencé un texte que j’ai intitulé Fnac, en recherchant systématiquement dans mon journal toute phrase en rapport avec la Fnac, depuis que j’y travaille. »

Quand on connaît la place que Laurent Herrou accorde à l’écriture de son journal, et comment cette écriture est à l’origine de la plupart de ses projets littéraires, on est frappé par sa capacité à se renouveler continuellement à partir d’une telle matière. Laurent Herrou a travaillé pendant huit ans à la Fnac de Nice, au rayon librairie. Il en est sorti indemne, et c’est sans doute en partie grâce à la composition du Petit mot, son dernier livre, où il recense, année après année, les fragments où apparaissent le mot « Fnac ». Le livre est divisé en huit sections, dûment titrée : l’année, le nombre de fragments. Continuer la lecture

Keguenne à la fortune du mot

Jack KEGUENNE, Échantillon d’imposture, Éléments de langage, 2017, 256 p., 14 €, ISBN : 978-2-930710-13-6

keguenne échantillon d impostureVoilà bien quatre décennies que Jack Keguenne, ce bourlingueur de l’écriture visuelle regardée en miroir – graphie pour graphisme –, ce dérouilleur des mots – écrits au petit bonheur la chance –, éparpille, disloque, dézingue le quotidien des jours. Il agit sans s’assagir, en écrivant ardent, en écrivain éruptif, en « concubin des dictionnaires », en poète colocataire des lettres, celles qui forment des alphabets indociles et rétifs, « une broderie de lettres qui fait tissu de sens », plutôt que celles qui s’inscrivent dans les actes notariés des institutions. Continuer la lecture

Où l’on parle d’un objet-livre et de son double sur le net plutôt que de parler de littérature

Claire PONCEAU, Adélaïde-Paysage et http://www.terramentis.eu/, Éléments de langage, 2015, 360 pages en 24 livrets + 1 carte au format A1, 22 €, ISBN : 978-2-930710-06-8

ponceau.jpgVoici un livre qui date de 2015, un projet singulier totalement passé inaperçu – ou presque – à l’époque de sa sortie et de ses présentations publiques. Y revenir, deux ans plus tard, pourquoi ? Pas forcément pour réparer, redonner une espèce de seconde chance à un écrit qui ne méritait pas de sombrer ainsi dans l’oubli. Ce serait, d’une part, donner beaucoup d’importance à la critique littéraire, faire croire que la critique pèse réellement dans le choix des lecteurs et lectrices. Ce serait, d’autre part, faire du critique littéraire une espèce de « justicier » ou de « redresseur de torts », posture, à mes yeux du moins, tout à fait ridicule. Continuer la lecture

Se faire une place au soleil…

Christine GUINARD, Elina SALMINEN, En surface, Éléments de langage, 2017, 64 p., 12 €, ISBN : 978-2-930710-12-9

guinardDepuis quelques années, l’éditeur belge Éléments de langage poursuit un intéressant travail éditorial dans le secteur poétique francophone. Se définissant lui-même comme « un comptoir éditorial indépendant spécialisé dans la littérature hors la loi du marché…», cet éditeur produit des ouvrages singuliers reconnaissables par leur format à l’italienne et la charte graphique singulière. Continuer la lecture

Une débâcle à quatre mains

Pierre DANCOT, Les revers de la nuit suivi de Une ombre à la pointe de mon crâne, dessins de Florence Mathieu, postface de Vincent Filteau, Éléments de langage, 2016. Non-pag. [39 p.], 12 €, ISBN 978-2-930710-11-2

dancotAvec une quarantaine de pages au format 14 x 14 cm, ce petit livre de Pierre Dancot fait au premier abord modeste figure. L’on y aperçoit vite, pourtant, une grande complexité interne. La première partie, Les revers de la nuit – noter la polysémie de « revers » – est écrite en vers libres ; elle est illustrée par Florence Mathieu de dessins sobres et impérieux, proches de l’esquisse. La seconde, Une ombre à la pointe de mon crâne, relève plutôt de la prose narrative, apportant à la première une sorte de complément, peut-être même d’élucidation. Vient ensuite une postface sensible du journaliste-poète québécois Vincent Filteau : Le cœur-décombre de la nuit. Plus discret, un quatrième auteur se joint aux précédents : Gaspard Dancot, 13 ans, a écrit quelques lignes étonnantes qui évoquent la fin de l’enfance, formant l’épigraphe du recueil. Continuer la lecture

L’espoir d’un corps nomade

Caroline COPPÉ, Nommons le mot nomade, Bruxelles, Éléments de langage, « O.L.N.I. », 2016, 14€

Engoncé dans les trivialités et les habitudes, il ne reste au corps que peu d’espace pour respirer. La conséquence, un corps qui tend à se murer dans le silence, à s’épargner, à s’exposer dans le retrait. Avec ce quatrième recueil, Caroline Coppé poursuit en quelque sorte l’échange entamé dans son précédent ouvrage, Langue morte suivie du flou, publié en 2009 à L’Arbre à paroles. Un échange fragmenté entre Elle et Lui où les courtes saynètes à haute teneur métaphysique s’enchaînent, découpées comme le synopsis d’un scénario. De prime abord, ce découpage disparate peut désarçonner. Mais c’est que cette dysharmonie voulue fait partie intégrante du propos. Très rapidement, le lecteur retrouve son chemin en isolant les obsessions qui balisent le dialogue scandé qu’il est par quelques passages en italique résonnant telles des didascalies intimes. Au final, une architecture complexe pour ce recueil au titre allitératif qui trouve naturellement sa place dans cette catégorie des O.L.N.I (Objets Littéraires Non Identifiés) imaginé par Nicolas Chieusse, initiateur du comptoir éditorial Éléments de langage. Continuer la lecture

L’étrangère

Edith SOONCKINDT, La femme défaite, Éléments de langage, 2015, 123 p.

soonckindtEdith Soonckindt est une femme dynamique aux multiples passions. À la fois auteure, traductrice, éditrice et bloggeuse, son nouveau livre, La femme défaite, est un roman dialogué entre un homme et une femme, paru aux éditions Eléments de langage. Qualifié d’Olni (objet littéraire non identifié), cette jeune maison d’édition belge a été créée par Nicolas Chieusse pour mettre à l’honneur des textes souvent considérés comme plus difficiles d’accès, se destinant à un lectorat désireux de découvrir des univers non formatés, une forme de littérature laissant place à une imagination sans bornes. Continuer la lecture