Audubon, si beaux ses oiseaux

Un coup de coeur du Carnet

Fabien GROLLEAU et Jérémie ROYER, Sur les ailes du monde, AUDUBON, Dargaud, 2016, 184 p., 21 €

La première planche installe à la fois la beauté des paysages et la superbe maîtrise du dessinateur, ainsi que la passion d’Audubon, lui qui admire le vol des oies bernaches là où son batelier craint  l’orage qui menace.  Sous le déluge, il lui importe plus de sauver  ses planches de dessin que son équipage et on devine vite que rien ni personne ne doit se mettre en travers de son chemin. 

Jean-Jacques Audubon est né en France en 1785 et est mort en Amérique – où il a passé la plus grande partie de sa vie – en 1851.  Il a consacré l’essentiel de son existence à dessiner les oiseaux d’Amérique du Nord.  C’est cette quête effrénée que montrent Fabien Grolleau et Jérémie Royer dans un roman graphique magistral.

Même si Buffon (1707-1788) a déjà publié son Histoire naturelle et en particulier les 9 volumes consacrés aux oiseaux (1770-1783), l’époque est aux pionniers et toute la méthodologie d’observation des oiseaux reste à inventer.  Ainsi, quand Audubon observe une colonie d’hirondelles – qu’il estime à 11.000 individus – vivant à l’intérieur d’un sycomore géant, il s’étonne de leur départ en septembre dont il ne comprend pas la raison, pas plus que celle de leur retour au printemps d’ailleurs. Il se promet alors d’essayer d’en marquer quelques-unes avant l’hiver suivant.

Le personnage est à la fois insupportable et attachant.  Complètement dévoré par sa passion, il sacrifie tout et tout le monde – et en premier lieu sa femme et sa famille – à ses dessins, mais lui-même n’épargne pas sa peine et en payera le prix dans des années d’errance et des conditions de vie qui le mènent au bord de la folie et de la mort. Il est finalement reconnu et reçu par le président des Etats-Unis à qui il résume ce qu’il appelle son sacerdoce : « 435 gravures, l’œuvre d’une vie entière, 12 ans pour les  imprimer toutes, 30 ans de recherches dans les bois, une longue aventure (…), des années de misère, (…) » à vivre loin de sa famille.

Le livre est divisé en grandes sections qui retracent le parcours d’Audubon, du Kentucky où il débute dans le commerce, bien malgré lui, et ensuite, au gré des ses pérégrinations à travers le  Mississippi, à la Nouvelle Orléans et, à la fin de sa vie, dans le Missouri où il est allé jusqu’aux montagnes rocheuses dans le but de dessiner, cette fois, « tous les quadrupèdes d’Amérique ». Mais la vieillesse et un état de santé de plus en plus précaire l’ont empêché de réaliser ce nouveau projet.

Le dessin est riche et expressif, tout à tour sombre et lumineux ; la mise en page est superbe : autant d’espace et d’immensité sur une feuille A4, ça tient du prodige.  Des pages édéniques, des visions inquiétantes, des évocations oniriques, mais aussi l’allusion, très claire quoique discrète, à la cruauté de l’esclavage ….

Les séances de chasse qui tournent au carnage, le début de la disparition des castors et des loutres, le massacre des bisons assombrissent les dernières années d’Audubon, même si lui-même a tué quantité d’oiseaux pendant 30 ans pour pouvoir les dessiner « d’après nature ». La grande forêt disparaît à une vitesse plus grande encore (déjà !), et avec elle, les grandes concentrations d’oiseaux.  Le Paradis est bien perdu.

Le sujet est intéressant et la manière de le faire connaître est à la fois intelligente et belle.

Un petit appareil de notes et une courte bibliographie, une brève biographie ainsi que la reproduction de quelques planches d’Audubon complètent heureusement le roman graphique en joignant l’utile (l’information historique) à l’agréable (la beauté des couleurs et du mouvement des planches d’Audubon). Que demander de mieux ?

A lire et à admirer, à relire et à contempler …

Marguerite ROMAN

♦ Découvrir un extrait du livre proposé par les éditions Dargaud

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