François EMMANUEL, La Passion Savinsen, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2016, 189 p., 8,5 €
Si la passion n’est pas héréditaire et semble due à quelque fatum, elle peut se transmettre de génération en génération. Chez les Savinsen, le modèle passionnel va de la nostalgie hallucinée du grand-père Tobias à sa petite-fille Jeanne en passant par la mère qui vivra un amour interdit et en mourra. L’histoire présente se déroule pendant la deuxième guerre mondiale. Jeanne, l’héroïne, restée seule responsable du château familial depuis la mort de sa mère et la déportation de son père, doit affronter la réquisition du domaine par les Allemands. Cette intrusion subite entraîne un désordre matériel mais surtout un bouleversement des sentiments et déclenche un afflux de souvenirs chez la jeune fille : l’officier occupe la bibliothèque où son père entomologiste classait ses collections ; l’installation des soldats dans une aile du bâtiment fait qu’elle rouvre la chambre de sa mère pleine encore de sa présence. Et surtout, se développe progressivement entre Jeanne et l’officier Matthäus Hiele une passion dont ils paieront le prix « réel et symbolique » : il sera envoyé sur le front de l’Est et elle sera tondue à la libération.
S’il y a concomitance entre la gravité du conflit et la violence de cette passion, la guerre en soi est peu évoquée et l’auteur ne fait guère intervenir de sentiments patriotiques ou même nationalistes, si ce n’est à travers des personnages secondaires, comme le souligne dans la postface Estelle Mathey, qui ne manque pas d’évoquer quelque parenté entre le présent roman et Le silence de la mer, de Vercors. C’est la relation amoureuse qui prime ici. Mais cet embrasement dépasse les personnages eux-mêmes quand Jeanne s’aperçoit qu’elle s’engage dans le sillage de sa mère, dont elle a forcé le secret et voulu poursuivre l’attachement.
S’il y a ici dépassement de l’intrigue première, il se déploie dans la réflexion sur l’opposition entre raison et passion, sur la différence entre les êtres passionnés et les autres, sur le caractère exclusif d’une branche familiale comme les Savinsen, sur la violence intérieure du ressenti féminin. Comme il se reflète aussi dans la sauvagerie du décor et des saisons ou dans l’intimité des échanges dans la langue de l’amour qui n’est ni l’allemand ni le français usuel.
Jeannine PAQUE
♦ Lire un extrait de La Passion Savinsen proposé par la collection Espace Nord