Philippe NOTHOMB, Augures, Avant-Propos, 2016
Le propos ne manque pas d’intérêt a priori : un thriller historico-religieux nous plongeant aux origines du christianisme, relatant les conflits de pouvoir entre empereurs romains, mêlant ces questions à notre monde contemporain jusque dans ses dimensions terroristes, interrogeant les notions de temps ou de Dieu, de hasard et de sens à donner à nos vies.
Un entrecroisement de trois histoires, en réalité, vouées à correspondre entre elles : la mission d’un Salvinus, espion romain à la solde de son empereur Constantin désireux de juguler la propagation du christianisme défendu par sa mère Hélène, mandaté pour rapporter une « preuve de l’incohérence du dogme chrétien », preuve qui ébranlerait toutes les vérités chrétiennes, comme par exemple la découverte du corps de Jésus ou le crâne de Marie-Madeleine. L’errance existentielle, d’autre part, d’un Simon, « homme au ciel neutre », ex-petit informaticien de banlieue devenu un temps séminariste à la Sainte-Baume de Provence, « ex-futur mort » devenu borgne, puis compagnon heureux d’une ex-prostituée ; il est accompagné d’un Lalouche, « serveur de soupe populaire au passé trouble », ex-détenu devenu homme de Dieu au service des SDF de Paris. Enfin Gilles et Nina, jeune couple entreprenant un pèlerinage à Compostelle, découvrant une Bible étrange arrachée aux appétits d’une vache, entreprenant le projet d’un thriller policier ou d’un film, tandis qu’ils s’entichent de deux étranges personnages dans les métros de Paris, Ali le vieil homme sans âge et son acolyte Moïse, un grand Noir descendant de la Reine de Saba et du Roi Salomon ; deux fantômes veilleurs de la résurgence de la Rome éternelle et prisonniers des couloirs du temps.
Un propos complexe soutenu par des thèses aux allures métaphysiques : où il s’agirait de « rassembler le regard des hommes pour redonner de la consistance à Dieu », sur fond de possible destruction du monde et d’avenir de l’humanité, et où surtout la question d’un temps cyclique est défendue avec le renouvellement de la vitalité de la Rome antique, faisant se correspondre passé et présent dans une forme de réalisme magique, et se superposer et s’entrecroiser mondes et époques : dès lors « parfois les âmes passent de l’un à l’autre sans le savoir avec des missions à remplir », avec signes et avertissements, faux hasards et coïncidences – tous ces augures qui donnent son titre au roman. Et puis des histoires de famille et de ménage, de concurrence de pouvoir entre empereurs romains, et de longs périples voyageant dans toute la Romania, de l’Italie à la Provence jusqu’aux confins de l’Orient, mais également dans les souterrains de Paris comme dans les couloirs du temps.
Un roman ambitieux, qui multiplie les genres, un peu hirsute et bavard, qui finit par chercher son sens, égarant le lecteur dans ses labyrinthes : le thrill du thriller finit par se dissoudre dans la dispersion et les spéculations, et où la quête erratique d’une pythie évanescente finit par se muer en guide touristique.
L’auteur, que l’on sent sincère, s’est amusé certainement et a cherché à se fonder sur une juste documentation historique. Un côté à la fois totalement impliqué et dilettante. Il n’est pas dupe non plus des aspects rocambolesques de son récit, s’interrogeant au passage sur sa légitimité, évoquant un possible « grand canular ». Dommage pourtant qu’il établisse cette distanciation qui n’aide pas le lecteur à y croire et à entrer pleinement dans ses perspectives. Défaut de jeunesse sans doute que de chercher à tout dire ou à se montrer capable de parler de tout. Un potentiel narratif certain, qu’il eût fallu tailler, élaguer ou organiser davantage.
Eric BRUCHER