Barbara ABEL, Je sais pas, Belfond, 2016, 430 p., 19.90€/ePub : 13.99 € ISBN : 2714470874
Barbara Abel s’est fait un nom dans le monde très prisé des auteurs de polars où elle poursuit son chemin depuis la parution de L’instinct maternel, en 2002, qui lui a valu le Prix Cognac. Avec son onzième roman, elle nous entraîne dans un tourbillon de faits d’une rare et noire densité, au cœur des désordres familiaux.
Camille est une jeune mère dont la vie pourrait être sans histoires. Sa petite fille Emma, dont on a fêté le cinquième anniversaire, lui vaut des éloges pour sa beauté et elle forme un couple aisé avec Patrick, son mari, et ses copines lui envient sa situation. Mais elle a depuis peu succombé aussi aux charmes d’Étienne, un homme plus âgé qui la poursuit de ses assiduités et ne lui laisse aucun répit, lui offrant la part d’aventure pimentée qu’elle ne trouve pas dans sa famille.
Un événement malheureux vient troubler ce désordre dont elle s’est jusqu’ici accommodée, même si les messages pressants d’Etienne qui font tinter la sonnerie de son gsm accentuent chaque jour la menace. Lors d’une sortie scolaire en forêt, les enfants sont invités à construire des cabanes. Emma, qui refuse l’exercice, disparaît alors qu’elle était sous la responsabilité de Mylène, son institutrice qui se trouve précisément être par ailleurs la fille d’Étienne. Partie à sa recherche, la jeune enseignante est portée absente à son tour alors que l’enfant est retrouvée. La présence d’un foulard de Mylène sur son bras laisse entendre qu’elles se sont au moins croisées. La police, appelée à la rescousse, ne parvient pas à obtenir d’informations de Camille qui répond invariablement et laconiquement « je ne sais pas » aux questions des enquêteurs et de ses parents. Les recherches menées sans attendre restent sans aucun résultat ni indice permettant d’orienter la suite des opérations. Les messages laissés sur la boîte vocale de l’enseignante qui manque au rappel restent sans suite. Et pourtant le temps compte car Mylène est diabétique et elle doit recevoir régulièrement son traitement au risque de perdre la vie. À cette confusion vient s’ajouter le passé judiciaire d’Étienne et son contact nerveux avec la police qui n’arrangent en rien le climat dans lequel débute l’enquête qui ne cessera de s’enliser.
Au cours des quelques jours sur lesquels se déroule le fil du récit, nous suivons les errements apeurés de Camille qui subit les pressions de son amant affolé à la recherche du moindre indice concernant la disparition de sa fille et celles, non moins redoutables, de son mari qui, prétextant le choc subi par leur fille, refuse avec froideur et fermeté qu’on l’assaille de questions. Avec, au nœud de cette tension qui paraît insoluble, le secret de sa relation avec Étienne qu’elle hésite à briser car elle sait qu’elle risque de tout perdre. Seule, prise entre deux hommes qui la malmènent et une enfant qui la fuit et en qui elle ne se reconnaît pas, elle est livrée à elle-même, sans aucune perspective d’une issue indolore. Tout ceci n’est presque rien encore car elle ignore qu’elle n’est pas la seule à avoir une part de vérité en mains et que d’autres ne vont pas s’encombrer des scrupules qui la paralysent …
Ce fort thriller de plus de 400 pages délivre tout au long sa dose mordante d’adrénaline car le drame resserre inexorablement son étreinte et il n’est nulle page qui ne recèle sa part de peur. Celle-ci est bien sûr alimentée par les faits eux-mêmes et par les déboires relationnels qui persistent et s’accentuent tout au long du récit. Il n’est aucun personnage qui s’en trouve épargné ni qui n’apporte sa funeste contribution à l’aggravation pesante des faits qui se succèdent. Jusqu’à Emma, qui devrait incarner l’innocence et dont tout le monde s’accorde à dire qu’elle a tout de la petite peste que ses amies évitent. Dans ces entrechocs de personnages parmi lesquels le lecteur cherchera en vain une figure franchement sympathique à laquelle s’attacher, il est difficile de reprendre son souffle et de résister à l’anxiété ambiante, et à celle, plus forte encore, du besoin pressant de tourner les pages pour en savoir plus, ce qui, on en conviendra, est sans nul doute le signe que le roman satisfait pleinement aux lois du genre.
Thierry Detienne