Michel JOIRET, Chemin de Fer, M.E.O., 2016, 145 p., 15 €/ePub : 8.99 € ISBN : 978-2-8070-0095-7
2015, l’heure de la retraite. De la vie professionnelle de Valentin, nous apprendrons peu, sinon qu’elle fut terne et bien rangée. Anodine. Pot de départ payé, Valentin s’installe seul rue Grisar, aux abords de la Gare du Midi. C’est un souvenir d’enfance qui l’a amené là, le souvenir d’un circuit de chemin de fer qu’il avait dû replier en 1952, au divorce de ses parents.
Aujourd’hui donc, à deux pas de la plus grande gare du pays, il rend corps à son rêve d’enfant, avec de vrais trains cette fois, et imagine les arrivées de Paris, les départs vers Vintimille. L’univers ferroviaire a imprégné jusqu’à son vocabulaire : dès la première primaire, Valentin entrait « en première classe » ; à dix-sept ans, il rôdait pendant des heures à la gare, à collecter tous tickets usagés, constituant des fardes qu’il consulte d’ailleurs encore, parce que « Faute d’avoir vécu, il lui resterait à s’illustrer à travers les hauts faits d’armes de la mémoire » …celle des autres.
Très tôt dans ce roman en deux parties, Michel Joiret prévient : « Une gare préserve le côté labyrinthique des choses…» Préserve ? Exacerbe, plutôt – mais l’auteur prend bien soin de ne perdre personne en chemin. Désignés comme des quais millésimés, les chapitres renvoient à des années que certains auront pu connaître (La Guerre, l’Expo 58, Baudoin au Congo, l’odeur du Côte d’Or en lisière de rails…), en passant par quelques grèves, pour déboucher sur les tout récents attentats.
Michel Joiret installe son héros en observateur de sa propre vie, en découvreur de son propre labyrinthe, et nous invite à l’empathie : Valentin, c’est un peu nous, quand nous nous contentons de vivre en mode mineur. De sa langue riche et maîtrisée, il désamorce en poète l’un ou l’autre réflexe rationnel du lecteur, et donne à cette rêverie ferroviaire l’épaisseur d’une réalité romanesque dans laquelle il resterait quelques traces d’autobiographie.
Pascal Blondiau