Thierry COLJON, Stromae est mort à New-York, Lamiroy, 2016, 178 p., 15 € ISBN : 978-2-87595-065-9
Marine, une jeune journaliste, était venue à New-York pour interviewer Wil.i.am des Black Eyed Peas, mais l’annonce de la mort de Stromae, dans une chambre d’hôtel cossu de Manhattan va bouleverser son programme et sa vie. Rien ne colle. Marine le sent. Elle appelle son père, journaliste musical depuis trente ans, pour qu’il la conseille, lui donne des tuyaux pour mener son enquête. Car elle veut comprendre. Elle veut savoir ce qui s’est passé dans la tête de cet artiste qu’elle a déjà rencontré auparavant, et qui avait encore tant à offrir à son public.
Elle va donc se jeter à corps perdu dans les coulisses d’une œuvre, d’une ville, tracer des cercles concentriques autour de Stromae, tenter de joindre son manager, avec qui elle a eu une aventure il y a des années, investiguer dans les hôpitaux, au commissariat de police, dans le dernier restaurant où le chanteur a mangé. Pourquoi Stromae est-il mort trois jours après son concert triomphal au Madison Square Garden ? Pourquoi était-il seul dans cette chambre d’hôtel ? Pourquoi avait-il choisi la chambre où l’on a retrouvé le corps sans vie de l’acteur Heath Ledger ?
Stromae est mort à New-York est le premier roman du journaliste musical du Soir Thierry Coljon. Il nous avertit d’emblée que, si les personnes sont réels, le roman reste néanmoins une fiction. Et l’on se laisse prendre au piège : la fiction est vraisemblable, le réel semble mis en scène. C’est que nous avons affaire à Stromae, cet artiste qui cherche à contrôler les moindres détails de son œuvre, et que cette histoire se passe à New-York, la plus fictionnelle des villes réelles, cette portion de l’espace qui est en même temps un décor permanent. Thierry Coljon a écrit beaucoup d’articles sur Stromae. Il aime et connaît le travail de cet artiste. Il aurait aimé écrire une biographie, mais Stromae ne le souhaitait pas, considérant qu’il n’avait pas encore assez vécu et réalisé de choses. Le chanteur avait dit au journaliste, par boutade : « tu la feras à titre posthume ». Et Thierry Coljon l’a pris au mot. Mais pour cela, il fallait tuer Stromae, et devenir un romancier.
C’est peu dire que le roman profite de l’expérience profonde et étendue de journalisme musical de l’auteur. L’enquête de Marine est émaillée de souvenirs de reportages, de rencontres avec des célébrités ou des acteurs de l’ombre du show-business et de la critique pop, et le lecteur découvre avec délice et par le menu les interrogations secrètes de Stromae, ses peurs, ses rêves, le fil complexe et riche de ses influences artistiques, les interprétations multiples de ses textes, son regard sur la mort. Un romancier désireux de raconter cette histoire serait passé par un colossal travail de documentation. Chez Coljon, ce travail s’effectue depuis tant d’années que le livre semble couler de source. Il est également bien placé pour décrire avec brio le phénomène d’emballement médiatique, central dans son histoire.
Une des trouvailles du roman est l’insertion de petites scènes dialoguées qui viennent interrompre le récit et donner une résonance et une épaisseur nouvelle au personnage de Stromae. À de nombreuses reprises, en contre-chant, des chapitres en italiques nous présentent le chanteur pénétrant dans des bistros. Il y rencontre tour à tour Jacques Brel, David Bowie, Cesaria Evora et Ibrahim Ferrer, un personnage de Si loin, si proche, le film de Wim Wenders. Et ils parlent. Ils parlent d’art, de musique, de mort, d’amour. Ils parlent d’eux et de tout ce qu’ils doivent aux autres. Ils parlent des horizons qu’il faut repousser, des douleurs qui font un homme, de la beauté. Ces discussions sont le minutieux produit de citations extraites de divers interviews, articles, films, œuvres et, si le lecteur sent un peu le collage par endroits, il le pardonne aisément, tant les dialogues sont profonds, tant il prend plaisir à imaginer ces rencontres, tant il voudrait remercier Coljon de les avoir évoquées pour lui.
Stromae est mort à New-York est un livre qui ravira les fans du chanteur, et tous ceux qui aiment la musique, qui veulent creuser sous les œuvres pour découvrir les trésors qu’elles recèlent. Et si l’histoire de l’art pouvait aussi s’inventer ?