Christiana MOREAU, La sonate oubliée, Préludes, 2017, 256 p., 15.60 €/ePub : 10.99 €, ISBN : 9782253107811
À Seraing, cité d’acier aux horizons bas et aux espoirs comprimés, Lionella est une adolescente qui détonne. Loin des amusements de son âge, élevée dans une famille italienne où l’on tient la musique pour nourriture spirituelle, elle n’a d’yeux pour son violoncelle. Entraînée par son professeur, Monsieur Sohet, pour le prochain concours Arpèges – retransmis à la télévision et d’ampleur internationale – la jeune fille frondeuse bute sur le choix de la pièce qu’elle devra présenter. Comment se démarquer de ces concerti si rabâchés ? Complètement bleu de la violoncelliste, son ami Kevin – doux rêveur dans une famille monoparentale sous haute tension – lui offre un coffret glané en brocante. Lionella y découvre avec ravissement non seulement une partition ancienne, mais aussi une médaille coupée et un carnet, celui d’Ada, une orpheline vénitienne du XVIIIe siècle. Débute alors, à mesure que les pages du journal intime défilent et que les notes de la sonate retrouvée s’apprivoisent en vue de la compétition, un étrange dialogue entre la Serésienne et celle qui fut l’élève de Vivaldi à l’Ospedale della Pietà. De quels mystères est porteuse cette violoncelliste oubliée par les âges ? Quel était cet étrange lieu qui recueillait les fillettes laissées-pour-compte afin d’en faire des musiciennes émérites ? Se peut-il que la trouvaille de Kevin soit une œuvre inconnue du compositeur des Quatre Saisons, celui qu’on surnommait le prêtre roux ?
Pour ce premier roman documenté et au lyrisme bien présent, Christiana Moreau – originaire de Seraing et sculptrice – fait serpenter un bras de Meuse jusque dans les secrets d’alcôve de la Sérénissime, entrelaçant les destinées naissantes de deux jeunes filles. On regrettera peut-être que dans certaines pages, un romantisme un rien éperdu – sur fond de candeur dévoyée – l’emporte sur la musique et l’Histoire. Il n’empêche que, chacune à sa façon, suivant les codes de son époque et une langue propre, Lionella et Ada tenteront de repousser les parois du carcan dans lequel elles se sentent cadenassées. Un peu à l’instar de la peintre pionnière Artemisia Gentileschi à Florence un siècle plus tôt, Ada dal violoncello cherchera dans l’art une voie singulière d’émancipation là où sa basse naissance la reléguait à être une exécutante docile, soumise aux règles de ceux qui l’ont recueillie.
Anne-Lise Remacle