Véronique BIEFNOT & Francis DANNEMARK, Place des Ombres, après la brume, 2017, Kyrielle, 508 p., 23,50 €/ePub : 9.99 €, ISBN : 979-10-278-0397-2
Place des Ombres, après la brume. Un diptyque romanesque qui joue du mystère, penche vers le fantastique, cultive les coïncidences troublantes, les signes énigmatiques, vagabonde d’une époque à l’autre.
On devine que Véronique Biefnot et Francis Dannemark, qui ont déjà composé en duo La route des coquelicots et Kyrielle Blues, ont pris grand plaisir à entrecroiser personnages et intrigues, à imaginer des passerelles d’un roman à l’autre, sous la forme d’un chien noir vigilant ou encore d’un exemplaire, au cuir patiné, des Fleurs du mal, à varier tonalités et atmosphères, quitte à nous égarer parfois.
Aux premières pages du Livre 1, signé Véronique Biefnot, La Place des Ombres (ou Place des Ombres, auteur et éditeur semblent avoir du mal à trancher !), nous rencontrons Lucie, dix-huit ans, âme inquiète et vulnérable, qui affronte une vie nouvelle. Elle a quitté sa province pour la faculté de philo et lettres d’une ville inconnue, tandis que ses parents partent vivre en Italie. Étudiante solitaire, renfermée, elle est un peu perdue : son premier amour la délaisse, son amie Maud ne répond pas à ses lettres, alors que naguère elles étaient inséparables, la lune et le soleil, Lucie l’effacée, la timide, dans l’ombre de Maud l’éclatante, l’intrépide. Un grand chien noir aux yeux d’ambre, surgi de nulle part, s’obstine à l’escorter dans ses promenades sans joie.
Par hasard – mais y a-t-il des hasards ? – elle fait la connaissance d’un vieil herboriste, qui a vécu en marge du monde, habité par une histoire « cousue d’espoir et de mélancolie ». Il prend la jeune fille sous son aile et lui propose de quitter sa chambre de la Cité universitaire pour s’installer au dernier étage d’une ancienne demeure, majestueuse mais lézardée, place de la Montagne aux Ombres, qu’habite seule la propriétaire, une vieille dame fragile en fauteuil roulant, et dont sa boutique occupe le rez-de-chaussée.
Lucie s’y sent bientôt chez elle, malgré les rêves oppressants qui la tourmentent la nuit, et les bruits inexplicables provenant du grenier désert. Mais cette maison ne se referme-t-elle pas sur elle, comme une sorte de sortilège qui l’écarte insidieusement du monde réel ?
Les fissures dans les murs se creusent. Une menace rôde. Lucie s’échappe, presque trop tard, au moment où Maud arrive par surprise pour renouer leur lien.
Bouleversée de trouver son amie entre la vie et la mort, elle la veille sans relâche. Découvre aussi des vérités enfouies au cœur de la vieille demeure…
C’est une Maud en désarroi pour d’autres raisons que nous retrouvons, vingt ans plus tard, sous la plume de Francis Dannemark, dans le Livre 2, Après la brume (Après La Brume, c’est selon). Elle traverse des jours « jouant sur la gamme des gris et des noirs », au chevet de son fils Vincent, gravement malade, rejoignant parfois le château néo-gothique, perché sur une colline, que son père a acheté et fait restaurer avec passion, et où, veuve, elle habite entre ce père dont la raison vacille et sa fille.
Survient fortuitement un certain Léopold Farkas, surnommé La Brume par ses amis et qui a décidé de se faire appeler ainsi désormais. Personnage attachant, qui a l’art d’écouter, de comprendre, d’apaiser subtilement. Le talent de lancer des mots qu’on retient : « La vie n’est pas raisonnable. Mais si elle l’était, pourrions-nous la vivre ? » « C’est la vie qui trace le chemin mais celui qu’elle nous ouvre, il faut quand même le choisir. »
On l’aimerait déjà, rien qu’à l’entendre évoquer les poèmes d’Emily Dickinson et de E.E. Cummings. Et l’on ne s’étonne pas de le voir flanqué d’un grand chien noir au regard fulgurant, à l’instinct sûr, qui n’est pas le sien mais qu’il suit fidèlement, lui qui, tant de fois, a rompu, tourné les talons, pris le large.
Les événements se précipitent. Orage de neige. Retrouvailles improbables avec Lucie. Ombres du passé dévoilées. Embrasement du château…
Tout est fini, mais peut-être que tout commence.
« Le hasard a le sens des surprises. » Poussé si loin, ici, qu’il nous donne quelquefois le vertige. Une grande envie de ciel pur, d’horizon dégagé, de terre ferme.
Francine Ghysen