Où l’on est doucement renvoyé à sa condition d’exilé

Daniel De BRUYCKER, Maximilien DAUBER, Exode, Les Carnets du dessert de lune, 2017, 80 p., 16 €, ISBN : 9782930607818

Le pays était froid
rude à voir et sauvage
à s’endurcir le cœur

Çà et là des clartés violentes
aveuglaient sans rien éclairer
qu’un ciel d’orage au cœur de soi

Des cris d’oiseaux passaient
stridents dans la tourmente –
eux-mêmes, on ne les vit jamais

de bruycker exodeLes livres, ça peut toujours se prendre au pied de la lettre. On louperait des choses, sûrement, en les lisant, ainsi, au ras de la moquette. N’empêche. Ça peut se faire. Rien ne nous empêche d’user ainsi de la lecture. On dirait alors d’Exode, dernier livre en date de Daniel De Bruycker et Maximilien Dauber, qu’il est le fruit de deux amoureux fous du désert. Dauber y revenant sans cesse depuis des années. Photographiant, filmant, obstinément, les sables, les roches éreintées, les ocres et les bleus. De Bruycker nous livrant de petits poèmes en tercet, suivant à la trace une troupe indéfinie de gaillards et de gaillardes, une troupe marchant dans le désert, on ne sait pas trop pourquoi, une troupe faisant route vers une oasis, y parvenant en bout de course.

Nous ne comprenions rien –
en ces lieux, dit quelqu’un,
‘comprendre’ n’est pas le mot juste

Rien ici que nous puissions aimer –
un autre suggéra : aimer
n’est pas non plus ce qui convient

Qu’en faire alors ? demanda une voix –
Ce que nous faisons, lui fut-il répondu :
chercher, et passer outre.

Oui mais.

Exode, c’est aussi autre chose. Tout autre chose. Se frotter au désert également. J’imagine ceci : traverser un désert, pour peu qu’on ne le fasse pas en touriste, c’est d’abord et avant tout se dépouiller. Laisser derrière soi l’inutile. Nos petits gris-gris d’angoissés. Nos oripeaux. C’est être renvoyés, sans tambour ni trompette, à la vie dans ce qu’elle a de plus fondamental. À la vie sans fard et sans masque, disons. Du moins, j’imagine. Lire et regarder Exode, en faire l’expérience, dès lors, ça pourrait être ça : entrer dans un texte labyrinthique, se perdre dans ses méandres, suivre pas à pas le questionnement, le doute de ces gens en marche, n’ayant nul autre choix que celui d’avancer. Ça se passe dans un désert, d’accord. Ça pourrait aussi se passer ailleurs. N’importe où. Ça pourrait concerner n’importe qui. N’importe où. Vous et moi dans un métro. Vous et moi à la campagne. Ça parle de roches, de rouges, de bleus. Ça parle d’une troupe errante, certes. Mais ça parle surtout de nous, dans le fond. De nous tous. De notre condition d’êtres vivants. Lancés, poum !, au hasard sur cette terre. Avançant, bon gré mal gré, comme on peut. Pas le choix. Oui. On pourrait prendre Exode comme une belle métaphore. Un livre quasi métaphysique qui nous inviterait, une fois laissés derrière nous l’inutile, à la vie dans ce qu’elle a de plus fondamental : un parcours, une errance vers une terre promise, un lieu où l’on pourrait se poser. Un lieu tranquille où l’on pourrait enfin s’apaiser.

Le pays peu à peu s’animait
des cris, des voix, des gens saluaient –
c’était aimable, pour des fantômes !

De part et d’autre du sentier
la roche, creuse, murmurait
habitée d’une touffeur d’haleines

Je n’aurais jamais cru
qu’il se trouvait des lieux comme ceci –
des lieux où vivre

Oui.

Exode pourrait être cela : un livre poétique, parlant sans chichi de la vie, de ce qu’est être au monde. Un livre où l’on se frotterait chaleureusement à la vision qu’ont De Bruycker et Dauber de la vie. Un livre fait de doutes et de douceurs. Un livre à la langue simple et savante. Sans fioriture. Nous renvoyant pourtant sans cesse ailleurs. À d’autres lieux, d’autres temps, d’autres espaces que ceux évoqués et montrés.

Parce que, oui, à la lecture d’Exode, bien des choses aussi refont surface. Reviennent à la mémoire. Des choses anciennes, bien sûr. Un peu mythiques. Comment ne pas songer à la bible ? À Moïse ? À toutes ces années passées à errer ci et là dans le désert ? Mais d’autres encore, beaucoup plus récentes. Beaucoup plus contemporaines. Comment, en feuilletant Exode, ne pas songer à ceux et celles en route vers ailleurs ?, fuyant les guerres et les atrocités, espérant un jour une fois se poser tout là-bas, en Angleterre ou ailleurs, espérant l’accueil chaleureux en terre promise ?

Voilà bien le plus curieux : Exode et sa langue simple, ses photographies à couper le souffle, ses paysages de toute beauté, Exode, oui, ouvre bien des portes. Nous force, bien malgré nous, à créer des liens. À aller au-delà des mots écrits. Au-delà des images montrées. À faire se rapprocher diverses couches de réalité. Extraordinaire pouvoir des mots. Extraordinaire pouvoir des images. Quand, comme ici, ils nous renvoient, sans faire de leçon, à nous-mêmes. À l’absolue nécessité de nous interroger. Nous invitant, pour ainsi dire, à retrousser nos manches. À cracher dans nos mains. À bâtir, à notre tour, notre terre promise.

Vincent Tholomé