La vie est là simple et tranquille

Francis DANNEMARK, Martha ou la plus grande joie, Le Castor Astral, Escale des Lettres, 2017, 122 p., 15€ /ePub : 7,99 €, ISBN : 979-10-278-0120-6

dannemark marthaAucune rumeur qui vienne de la ville ne troublerait les jours paisibles qu’on peut vivre en Bourgogne, dans un petit village aux bords de l’Yonne, cette rivière qui va grossir la Seine pourtant. Un village peu peuplé, dont les habitants sont sympathiques et accueillants. Rien ne devrait donc entraver le court séjour que vont y faire Martin et sa sœur Martha. Un peu par devoir, il s’agit de prendre soin d’une personne chère, cette Martha qui a un peu perdu la mémoire depuis son accident ; un peu par hasard aussi, la perspective de retrouver peut-être les traces écrites d’un père disparu et qui sait ? un secret de sa vie passée. C’est la douce impression qu’on peut avoir en lisant les premières pages du roman de Francis Dannemark, Martha ou la plus grande joie. Entrée en matière avant la rencontre avec la rivière, un paysage, soit, mais sans mièvrerie :

Après avoir traversé la forêt en multipliant tours et détours, comme si la ligne droite n’était jamais qu’une vue de l’esprit sans grand intérêt, la route venait de se transformer en une douce courbe à flanc de coteau pour longer une vaste étendue de champs de blé et de prairies où des vaches, rares et lointaines, avaient pris des poses paisibles. Dans le ciel de ce début de juillet, quelques nuages se laissaient faire par le vent. L’un d’entre eux se penchait pour ramasser son chapeau. Léger, celui-ci lui avait déjà échappé deux fois. Je n’ai rien dit. Martha dormait, j’ai ralenti un peu pour profiter du spectacle.

Et on a bien raison d’avoir confiance, la maison d’hôtes sera jolie et confortable, la vieille voiture en panne sera réparée, le garagiste sera un chauffeur et un guide attentif et la personne surprise qui les a invités à lui rendre visite une charmante vieille dame à découvrir et puis à écouter, car elle a bien des choses à raconter. Le cadre demeure de bout en bout enchanteur. Mais des remous se manifestent bientôt. Non là où on pourrait les craindre, du côté de la santé de Martha, par exemple. Au contraire, elle se sent très bien et des pans entiers de son passé lui reviennent par à-coups. Le brouillage vient d’ailleurs et du récit de cette Jeanne qui ne peut s’empêcher de raconter sa vie et surtout d’avouer qu’elle a aimé le père de ces deux personnes qu’elle a souhaité rencontrer, le frère et la sœur qui l’écoutent avec passion.

À partir de là, le mouvement est donné, un mouvement profond, de ceux qui bouleversent des existences, loin de ces minuscules péripéties que peuvent représenter une panne de voiture ou l’observation des araignées et des chauves-souris. Les destins vont changer, non sans mal, des obstacles vont surgir, des contrariétés survenir, peut-être une trahison. On n’en dira pas plus ici, si ce n’est que la tension devient très forte, à un moment donné. Mais la progression est assurée, Dannemark conduit son récit mieux que le héros sa voiture. Il sait ménager ses effets et nous acheminer en douce toujours, malgré les incidents, vers un double dénouement. Double ou pluriel. Là encore où on ne s’y attend pas nécessairement.

Il existe donc un art du roman, assez peu définissable mais que l’on pourrait  ainsi saisir, partiellement du moins : laisser à une histoire le soin de donner un vrai moment de bonheur à ceux qui ont la chance d’en partager la lecture, la joie annoncée somme toute. C’est une définition qui convient à l’écriture et à la composition – un mot qu’il emploie volontiers – de Francis Dannemark.

Jeannine Paque