Werner LAMBERSY, dessins de Laurence Skivée, Ball-trap, suivi de Je me suis fait un non, L’âne qui butine, 2017, 106 p., 22 €, ISBN : 978-2-919712-14-4 ; Hommage à Calder, Ed. Rhubarbe, 2017, 81 p., 8€, ISBN : 978-2-374750-16-3 ; Ici l’ombre (journal de résistance), Cygne, 2017, 50 p., 10€, ISBN : 978-2-84924-486-9
On pourrait dire de Werner Lambersy que c’est un polygraphe et ce serait extrêmement réducteur. Ajouter peut-être qu’il est virtuose mais ça ne suffirait pas encore. Aussi à l’aise dans la forme courte, le haïku, l’aphorisme, que dans le poème long, Werner nous surprend à chaque nouvelle publication. Car c’est bien à l’ensemble d’une œuvre importante et protéiforme qu’il convient de rattacher ces recueils qui paraissent simultanément. Il n’est donc pas étonnant de trouver parmi les trois phrases d’exergue qui ouvrent son Hommage à Calder, celle de l’écrivain portugais Antonio Lobo Antunes : « Il faut sans cesse trouver une autre façon d’écrire pour exprimer ce qu’on veut vraiment dire ». Ce à quoi s’attelle Werner dans une œuvre où chaque nouvel opus vient consolider encore un peu plus l’édifice dont l’une des premières pierres fut posée avec Maîtres et maisons de thé dès 1979.
Avec Ici l’ombre, le poète nous propose un journal de résistance sous forme de messages codés à la manière de ceux que l’on pouvait entendre sur Radio Londres dès juillet 1940. Occasion pour Lambersy de laisser errer librement la plume du côté de la formule instinctive, automatique, quasi surréaliste. Le chant universel, au cœur du processus lambersyen, est ici perceptible par le biais de ces phrases souvent loufoques mais dont la redite leur donne un aspect incantatoire cher à l’auteur.
Le cœur reste souvent une vieille majorette, je répète : le cœur reste souvent une vieille majorette. Les cormorans sèchent leurs plumes en crucifiés.
Si ces messages compilés de manière aléatoire semblent a priori dépourvus d’unité, ils présentent toutefois un étrange bestiaire où chaque créature occupe une place précise dans la vaste faune du monde. Ainsi retrouve-t-on sous l’écorce cryptée du poète-résistant le moustique, le ver, la crevette, l’hippopotame, l’huître ou le serpent qui ont tous leur cri à dire. La seconde partie du recueil est une « lettre aux gouvernants » composée de 22 courts tercets, presque des haïkai, que l’auteur assène sous forme de préceptes provocateurs. Plus aisément lisible, ce second volet éclaire l’absurdité apparente des formules du premier.
S’ils ont peur !
Donnez-leur l’au-delà !
Ils se tiendront tranquilles
L’Hommage à Calder s’inscrit lui dans la suite d’ouvrages que le poète a consacrés aux artistes comme Jacques Zabor ou Pina Bausch et qui font partie de sa bibliothèque intime. Recueils-hommages permettant de suivre les influences, les filiations dont Werner n’est jamais avare et qui tissent un vrai réseau de mutuelles connivences. Mobiles comme les installations du sculpteur américain, les phrases s’alignent ici, brefs constats de l’homme moderne confronté aux exigences du corps contemporain. Mais Werner Lambersy ne perd jamais de vue le fil ténu qui le relie au corps des mots, à cette grande cosmogonie poétique dont il scrute, depuis tant d’années, les différents modes d’expression.
Au début
il y a le débutRien
d’autre
que la matière
anatomique
des mots
La matière
manquante
de l’âme
Enfin, Ball-trap que publient les éditions L’âne qui butine, dans cette superbe collection soignée « Xylophage » où l’auteur avait donné, il y a quelques années, un autre recueil intitulé À l’ombre du bonsaï. Recueil double dont la première partie en prose dévoile un nouveau fragment d’une autobiographie amorcée dans le magnifique récit Anvers ou les anges pervers réédité il y a peu dans la collection Espace Nord et que complète Un requiem allemand sorti chez Caractères en 2014. Même si la poésie reste pour l’auteur le principal vecteur, on ne dira jamais assez la force de la prose de Lambersy qui prolonge et démultiplie en quelque sorte le cri poétique. Les souvenirs ici s’imbriquent subtilement pour élargir la mosaïque mémorielle.
Il règne une sorte de crépuscule. De Troie, détruite et en flamme, l’Iliade n’a rien dit : l’azur est un crêpe funèbre. La nuit nous fuit, l’aube tout autant. C’est le soir et personne ne sait ce que c’est.
Les silences tendus, les non-dits ont leur mot à dire chez l’auteur qui, pour paraphraser le titre donné à la seconde partie du recueil, aura réussi à se faire un NON ! Un non, un refus atavique, un non de contradiction emporté de haute lutte au prix de déracinements multiples mais salutaires, vitaux.
Tout ça
Que tu renonces
À compter pendantQue tu marches
Dans la foule qui te
Porte commeUne plume sur l’eau
Rony Demaeseneer