Magie en berne, sexe et bibine

Un coup de cœur du Carnet

GUDULE, La ménopause des fées. L’intégrale, Édition Bragelonne, 2017, 405 p., 10€, ISBN : 979-1028103552

gudule la menopause des feesDepuis la disparition de la forêt de Brocéliande, Merlin l’Enchanteur s’est réfugié dans la station de métro du même nom à Paris (nous sommes au XXIe siècle). Déchu suite à la furie de sa dernière maîtresse, il passe ses journées sur un banc à péter, picoler et cuver. Mais il n’est pas tout seul, ses 3 fidèles fées ont aménagé leur demeure dans les poubelles toutes proches. Celles-ci sont toutefois quelque peu différentes des fées que nous connaissons. Nous découvrons ainsi une Vivi lascive qui fait des jeux de mots foireux, une Moorgën fasciste et une Clochette pédophile qui a « le feu au cul ». Chacune d’elle ayant une langue bien pendue, cela crée parfois des étincelles : « -L’aurait pas pu crever, cette pute ? grommela-t-elle. Morgane était bien de son avis. Des garces pareilles, moins on en côtoie, mieux on se porte. Et, accessoirement, plus on se tape de mecs. » Pas de magie, malheureusement, elles sont ménopausées, en d’autres termes, elles ont épuisé leur stock de pouvoirs magiques. À cette compagnie, vous ajoutez Excalibur, un chien qui a la trique presque toute la journée. Le décor est planté.

À lire : portrait de Gudule dans Le Carnet 188

Tombé dans une profonde léthargie à cause de la fin de l’ère moyenâgeuse, Merlin est déconnecté du monde 2.0 et est victime d’une « sensible altération de ses facultés mentales […] au grand dam des fées, spectatrices impuissantes de la métamorphose », jusqu’au jour où il rencontre par hasard Linda Graal. Il voit alors dans son nom et autour de lui des signes de renaissance de l’Ère de la Chevalerie. Il se lance donc dans la quête de son Graal, à savoir la procréation de l’Élu, un bambin qui naîtra de Linda et de Père cheval (nom perçu comme la déformation du prénom Perceval). Ainsi, le quatuor s’agrandit avec une Linda licencieuse et querelleuse et un Père cheval bisexuel qui tombe amoureux comme il change de chemise. Le conte de fée en version légende urbaine burlesque peut commencer !

De la suite de l’histoire, nous ne vous dirons rien de plus. D’abord, parce que c’est impossible, tellement elle regorge de rebondissements ; ensuite, parce que ce serait dommage de vous dévoiler les nombreux passages délicieux à découvrir. Juste vous dire que vous aurez à lire une histoire pimentée où l’auteure nous montre son imagination foisonnante et nous emmène dans un univers léger et loufoque, où sont tournés en dérision des thèmes d’actualité parfois délicats (homosexualité, fanatisme religieux, racisme, médiatisation outrancière de la misère,…). Gudule est cependant suffisamment fine pour ne jamais basculer dans l’excès et garder le lecteur de son côté en le faisant rire de la dure réalité.

On ne lui en demanda pas tant. Juste de cramer Smyrna et, éventuellement, de défigurer au cutter quelques-unes de ses copines, ces salopes qui bafouaient le mâle de droit divin. La date de la gay pride fut jugée propice à l’accomplissement de cette formalité. Elle rassemblait, en effet, sur un périmètre relativement réduit, une bonne partie de ceux que la CIA avait dans le collimateur, à savoir : les homos (qui bafouent également le mâle de droit divin, mais d’une manière fort différente et, pourrait-on dire, opposée), les lesbiennes et, bien entendu, Smyrna elle-même. Cette opportunité de faire d’une pierre trois coups – ce qui, pour des justiciers traditionnellement lapideurs, représentait une sérieuse économie – leur semblait d’autant plus avantageuse que les transports en commun coûtent cher et qu’un bon musulman ne voyage pas sans ticket.

Vous l’aurez sans doute compris : même si les personnages sont issus de l’univers merveilleux du Moyen Âge, ce roman est destiné à des adultes. Les héros sont tous un peu paumés, ont un langage familier voire vulgaire, et surtout, une sexualité plus que libérée et un comportement parfois très violent. Cela n’empêche pas Gudule de nous donner à lire des répliques très littéraires à travers le personnage de Merlin, qui a conservé le vocabulaire de son époque, ce qui crée de nombreux dialogues savoureux.

– C’est le Ciel qui t’envoie ! s’exclama-t-il, balayant d’un coup de langue le « vous » respectueux (car, étant mythe lui-même, il tutoyait ses pairs). Bénie sois-tu, Pucelle Ardente, d’avoir ainsi franchi le temps et l’espace pour nous porter secours. Tu n’auras pas affaire à des ingrats : le Monde t’en saura gré jusqu’à la fin des temps. Un échange de regards eut lieu entre les deux femmes, l’un signifiant clairement : « Il est ouf, ce vieux con ? » et l’autre, fataliste : « Oui, mais pas dangereux. »

La ménopause des fées est une trilogie exceptionnellement rassemblée par la maison d’édition Bragelonne en un seul volume au prix de 10 euros. Une belle occasion de lire ou relire cette histoire dont la structure narrative est très travaillée et où aucun détail n’est donné au hasard. Quand on se demande où l’auteure nous emmène, les pages suivantes donnent tout leur sens aux anecdotes décrites un peu avant. Nous avons aussi droit à de nombreuses références culturelles comme Le Seigneur des anneaux, Rambo, Édith Piaf, Rocco Siffredi (sic !), la série Friends, Pixar,… Bref, du grand Gudule ! À lire pour un très bon moment de divertissement et de franche rigolade !

 Séverine Radoux