La vie d’artiste. Entre liberté et asservissement

Christine VAN ACKER, La dernière convocation, Cactus Inébranlable, 2017, 60 p., 5 €, ISBN : 978-2-930659-63-3

van acker la derniere convocation.jpgOn est en avril 2017. Au fonctionnaire chargé de contrôler si elle est suffisamment active dans sa recherche d’emploi, Christine Van Acker remet une lettre. Un brûlot plutôt. Doux et amer. Ironique. Où elle signifie qu’elle en a soupé de se soumettre aux diktats d’une administration la réduisant à une étiquette : demandeuse d’emploi. Une administration qui n’a que faire de Christine Van Acker en tant que que personne et de ce qu’est réellement son boulot d’artiste. Une administration qui réduit à peau de chagrin tout qui, un jour, est confronté au vaste complexe des réglementations en tout genre.

Cela aurait pu rester dans l’ombre. N’être qu’une affaire perso entre l’auteur et l’administration. Mais non. Dès avril 2017, Christine Van Acker a partagé son pamphlet sur le net, suscitant l’avis et la réaction d’autres auteurs, d’autres artistes en pétard contre le Forem ou l’Onem.

La dernière convocation  reprend toute l’affaire. Outre le pamphlet de Christine Van Acker et quelques-unes des contributions d’artistes, on y trouvera des citations, entres autres, de Henry David Thoreau et Étienne de la Boétie nous incitant, nous, lecteurs, lectrices, à prendre du recul, à mieux comprendre dans quels enjeux s’inscrivent ces coups de gueule, coups de sang, coups de colère.

Car, au fond, à quoi invite Christine Van Acker si ce n’est à la désobéissance civile, chère à Thoreau ? Incitant même les sanctionnateurs à prendre la tangente. À démissionner. Dire, à leur tour, comme elle le fait dans sa lettre, bye bye les frères, à la tyrannie administrative. Bouffant nos temps, nos vies, nous réduisant à n’être que des sous-humains, ou quelque chose du genre.

Oui mais.

Si ces citations invitent à replacer l’affaire dans un contexte plus général, dépassant largement, en tout cas, le cadre d’un combat a priori sectoriel – qui s’intéresse au droit des artistes à vivre dignement de leurs arts si ce n’est les artistes ? –, deux ou trois choses, je pense, déforcent le livre.

D’accord : la colère de Christine Van Acker est juste. L’administration nous essentialise. Nous colle des étiquettes. Refuse de voir en nous autre chose que des demandeurs d’emploi. N’a que faire du fait que nous sommes pères, mères, gens de partage, de rencontres. Artistes ayant derrière nous des années de travail, de questionnements, de doutes. Nous amoindrit par sa logique mortifère. Est un monstre à abattre et dont il conviendrait de se libérer. D’accord. Entièrement d’accord.

Oui mais.

Alors que des artistes n’arrêtent pas de déplorer cette logique de mort, certaines contributions – et certaines pages du pamphlet – ne font que la reproduire à la lettre. Apposant sur le front des fonctionnaires la sinistre étiquette de fonctionnaire. Réduisant, du coup, la personne leur faisant face à ce mot : fonctionnaire. Déniant ainsi à cette personne le droit d’être multiple. Comme si, parce que fonctionnaire, le fonctionnaire était fatalement abruti. Aliéné à un système qui l’asservit. Incapable d’aucune échappée belle. Ou de bouffée d’air. Ou de mise en question. Étrange réduction. Étrange mécanisation. Déplorée d’un côté et reproduite de l’autre, à la virgule près.

Certaines des contributions prenant même des allures de plaidoyers de classes. Plaçant les artistes comme au-dessus de la mêlée. Intouchables dans leurs prérogatives. Parce que plus sensibles, plus humains, plus en prise directe sur la vie que « les autres ». Posture, à tout bien réfléchir, un brin méprisante pour tout qui ne partagerait pas le noble et beau métier d’artiste. Posture, dès lors, ne faisant qu’accentuer les fractures plutôt que nous rassemblant. Ou nous permettant de penser l’humain et l’humanité dans leur entièreté. Posture peu généreuse, oubliant de tendre la main aux fonctionnaires, ces frères et sœurs de galère.

D’autres positionnements sont, par contre, remarquables. Celui d’Eva Kavian, par exemple. Lucide et clair, tout à fait pertinent pour avancer dans un débat général sur nos libertés et nos asservissements.

Vincent Tholomé