Brelan de garnements

DOCTEUR LICHIC, Anecdotes, Collages de Jean-Christophe Ditroy, Cactus inébranlable, 2017, 88 p., 9 €, ISBN : 978-2-930659-64-0 ; Jean-Philippe QUERTON, Minute d’insolence, Illustrations de Benjamin Monti, Cactus Inébranlable , 2017, 88 p., 9 €, ISBN : 978-2-930659-66-4 ; Raoul VANEIGEM, Pourquoi je ne vote pas et autres inédits, Illustrations de Serge Poliart et Joseph Ghin, Cactus Inébranlable , 2017, 84 p., 9 €, ISBN : 978-2-930659-65-7

docteur lichic anecdotesLes éditions du Cactus Inébranlable tirent une salve de trois petits livres où la plus rafraîchissante des gamineries côtoie des pépites de sagesse ou de subversion. Leurs auteurs que le Gloupier qualifierait sans doute de « délicieux chenapans » ne sont pas novices dans le genre, il s’en faut, et leur inventivité, pas seulement facétieuse, s’est déjà largement illustrée dans plusieurs opuscules et magazines dont les plus folâtres et joyeusement transgressifs. Au générique, on trouve le multiple Docteur Lichic, Jean-Philippe Querton, funambule et braconnier des mots, ainsi que l’infatigable et salubre contempteur de « l’ordre social dominant », Raoul Vaneigem.

Docteur Lichic – pataphysicien et par ailleurs militant du décoquillage libératoire des escargots – donne le ton avec ses Anecdotes sous-titrées « Élu produit de l’année par des ivrognes incompétents ». L’auteur s’affirme comme zélateur des « plissures de langage » et pratique l’aphorisme brindezingue assaisonné de paronomase. Exemples : Les djihadistes sont inquiets : un occident est si vite arrivé » ou encore « Comme son nom le mentionne, la ligue Braille aide les aveugles à devenir sourds. » D’accord, ça ne révolutionne pas la littérature, mais comme le précise l’auteur, le simple réconfort qu’il offre aux amateurs du genre est celui « qu’ils auraient à écluser quelques godets ». Ce qui n’est déjà pas si mal. Autres de ses élucubrations, les pernicieux Ne dites pas…Mais dites, les Mots nouveaux (genre valises) obtenus par torsion et gavages saugrenus du vocabulaire académique, ou Presse express, l’informateur qui, chemin faisant, associe affectueusement Jeanne d’Arc à Macramé… Comme ses deux autres partenaires de covoiturage éditorial, Lichic s’est offert le concours d’un illustrateur inspiré. Avec, en l’occurrence, les collages aussi élégants  que futés de Jean-Christophe Ditroy, artiste protéiforme et spécialiste des inventions désespérées (qui,  comme on sait, sont aussi les plus belles… )

querton minute d insolenceAvec Jean-Philippe Querton et son Minute d’insolence, les aphorismes sont à l’honneur, peu rétifs  à l’audace langagière ou aux jeux de mots débiles (qui, comme on sait, sont aussi les meilleurs), souvent lardés de confidences personnelles, poétiques, désabusées ou ravageuses (comme, notamment,  sur la détestation qu’il prétend vouer à la ville de Bruxelles ou à son propre frère…). Au gré de ce torrent verbal dopé à la Chimay bleue dans laquelle il avoue mettre toutes ses complaisances, se croisent et se succèdent les dédicaces aux amis, les définitions résolument buissonnières, les À la manière de… ou encore des recettes pour cuisiner les aphorismes  où l’on apprend ceci entre autres secrets de fabrication : « Quand les mots sont dorés, faites-les sauter, puis émincez-les, passez les dans un mélange de malice et de cornichonnerie confite. » S’il croit en troubadour que Les abeilles et les papillons mangent le poème des fleurs, Querton peut aussi se montrer œnologue éclairé (« Longtemps j’ai cru que le Beaujolais nouveau était un vin ») ou fin sondeur des sentiments : « Quand je pense qu’il fut un temps où j’étais drôle… il y a longtemps, quand j’étais malheureux. » Aux fantaisies et aux humeurs souvent grises de l’auteur, les illustrations de l’artiste liégeois Benjamin Monti apportent un écho original et subtil.

vaneigem pourquoi je ne vote pasAvec Raoul Vaneigem (Pourquoi je ne vote pas et autres inédits), la forme courte qui alterne avec des textes plus copieux prend davantage la forme de brulots en totale harmonie avec le discours du situationniste non-aligné, bien connu pour sa ferveur libertaire, pourfendeur de l’aliénation au travail, chantre de l’hédonisme, du « rire de la vie » qui est « passer outre à tout ce qui nous fait payer matériellement et mentalement, à tout ce qui nous pourrit l’existence », un rire qui fatalement « n’est pas le bienvenu quand le ridicule est partout ». Mais qui sous-tend de son indéfectible espérance en un monde plus joyeux la vaillance des propos polémiques et vigoureux répandus dans ce livret. Qu’il s’agisse de ces textes réunis sous la bannière de « Rien  ne résiste au rire de la vie » et de « Pourquoi je ne vote pas » (où l’auteur voit dans la pratique électorale « le mépris du pauvre con qui pisse dans l’urne sans penser à la vérole du désenchantement qui, le rendant hargneux et pris d’une rage aveugle, le prédisposera à la barbarie du chacun pour soi et du tous contre tous ». Textes suivis de « Conversation avec Jacques Rétif » où, face au Boussutois, Vaneigem explicite ses théories politico-philosophiques sur le (mauvais) état du monde en concluant qu’il faut « affirmer partout la prééminence absolue du droit de vivre sur les droits du commerce et de la finance ». Quant aux dessinateurs Serge Poliart et Joseph Ghin, ils illustrent le recueil avec une gouaille, un  humour, une fantaisie débridée et un foisonnement graphique en parfaite adéquation avec  un certain rire de la vie.

Ghislain Cotton