L’exposition consacrée à Sophie Podolski (1953-1974) au Wiels est la première de l’artiste en Belgique. Elle est centrée sur son œuvre graphique, entre 1968 et 1974, mais le dessin et l’écriture sont étroitement liés, l’écriture étant elle-même objet de recherche typographique. Toute l’œuvre de l’artiste est composée de symboles, de métaphores, de mythologie personnalisée. Trois salles se succèdent pour rendre compte de la richesse et de la frénésie créatrice qui l’animait.

Sophie Podolski, Sans titre, vers 1970-72, huile sur papier. © Catherine Podolski
Dans la première salle, il y des gravures, ses dessins pour de la BD fantastique et quelques céramiques. L’univers de Sophie Podolski est drôle, révolté, anticonformiste, érotique et sexuel, totalement décalé et psychédélique. Sur le pan de mur de gauche, il y a l’histoire d’un unijambiste excentrique, Simonis, sur celui de droite, l’histoire de Lumière verte, une bande dessinée déjantée faite de glaces à manger, de serpents et de machine à fabrication d’acides. Au centre, plusieurs vitrines sur pied avec des pages manuscrites ou tapuscrites témoignant de ses recherches artistiques. L’une des pages est adressée à sa « petite maman », elle y raconte l’histoire d’un personnage, Virgule, habillé d’une robe en plastique blanc, avec un nombril en forme de bouton d’or.

Sophie Podolski, Sans titre, vers 1968-70. © Catherine Podolski
L’exposition est une sorte de patchwork ordonné d’un journal à la fois intime et extime. L’ombre de la mère de Sophie Podolski (également artiste céramiste) habite en filigrane ses écrits. Autodidacte, elle est née dans une famille d’artistes et d’intellectuels : sa sœur Catherine Podolski est céramiste, la romancière Dominique Rolin était sa grand-tante et son père était un musicologue et joueur de luth baroque.
La deuxième salle la révèle extrêmement inventive, savante, créatrice de machines folles dignes de grandes scènes de science-fiction. Il y a des monstres, de la génétique et de la biologie, un mélange d’organismes inventés prenant vie dans une palette colorée de gouaches et de pastels. En parallèle, de multiples dessins et textes à l’encre noire dominent le centre de la pièce. Ceux-là rappellent le travail du graveur et illustrateur britannique Aubrey Vincent Beardsley, mais en version plus trash, plus rock & roll. Ce qui revient souvent dans ses écrits, ce sont les choses qu’on ne dit pas, les silences oppressant de toute une société. Elle dessine des spirales, des points, des lignes, des courbes, laissant la part belle au hasard tout en gardant une maitrise absolue du trait. De nombreuses bouches muettes grandissent sur les feuilles :
Mon enfance passée il fut un temps pendant lequel je découvris que l’échange de paroles était vain – le silence – le geste – le regard – la magie – l’être – mais l’écriture. Je me trouve en face des gens qui sont en face de moi – J’ai des choses à formuler – je ne peux m’entendre avec personne – ni avec moi ni avec je – la parole est une hystérie qui relève de la frustration (…).
La dernière salle met à l’honneur son manuscrit Le Pays où tout est permis écrit en 1971. Des pages et des pages de texte d’une écriture très serrée, griffonnée presque de manière automatique, sans respiration ni ponctuation, et une syntaxe volontairement déstructurée. Les pages manuscrites se succèdent, son esprit délire sous l’effet du LSD, dans un état schizophrénique, elle est tourmentée, paranoïaque, fiévreuse, révoltée : « je suis tellement désolée de ne pas savoir : m’envoler et changer de personne, de peau » mais aussi libérée de ses inhibitions et défenses sociales : « je crois qu’on va faire la liberté – même si il faut encore construire des buildingue – ça y est mes enfants – on est tous d’accord sur un seul point : c’est qu’on en a marre marre marre d’habiter sur quelque chose de pourri mais en plus sphérique ». Il y a aussi quelques collages, sa biographie imaginaire, et une vidéo, où on la voit avec ses amis de la communauté du Montfaucon Research Center dans cette maison d’artistes de Joëlle de La Casinière. On entend sa voix dire un texte, lancinante, juvénile.

Sophie Podolski, Sans titre, vers 1970-73. © Catherine Podolski
Pour sortir de l’exposition, on fait le chemin inverse, on s’éloigne de la voix qui habite temporairement les oreilles, on repasse dans chacune des salles devant ses dessins et ses écrits tellement riches de détails qu’on prend à nouveau le temps de les contempler et de les déchiffrer. Son écriture est belle, envoutante, organique. On ne comprend pas tout dans ce qu’elle écrit, c’est souvent confus, un tapuscrit aiderait à saisir la multitude d’éléments qui échappe à notre esprit et notre regard. Et pourtant, cette difficulté de lecture nous plonge dans une écriture vivante, dans un voyage à la fois intime et collectif où : « la lumière ne vient pas du ciel – elle arrive de très loin – d’autre – part – nous irons ensemble ».
Grâce à la réédition de son livre Le pays où tout est permis, l’envie est là d’écouter Jimmy Hendrix ou Franz Zappa, et de continuer le voyage cosmique chez soi avec le livre doré grand ouvert. Cette exposition est une véritable chance de découvrir une jeune artiste méconnue de la génération de mai 68. L’œuvre de Sophie Podolski est essentielle, authentique. Elle est une expérience littéraire pure, un mustread poétique.
Mélanie Godin
En pratique
Sophie Podolski, le pays où tout est permis.
Au Wiels jusqu’au 1er avril 2018.
Avenue Van Volxem, 354 – 1190 Bruxelles.
Du mardi au vendredi, de 11h à 18h.
Informations.