EFFEL, Le Dragon déchaîné, 180° éditions, 2018, 288 p., 19€, ISBN : 2930427892
Les fêtes traditionnelles ont ce quelque chose de particulier qui échappe à tout non-« natif » de la commune en fête. Se plonger au cœur de l’une d’entre elles, à savoir le fameux Doudou de Mons – reconnu, depuis 2005, au Patrimoine oral et immatériel de l’Humanité par l’UNESCO – fut pour nous savoureux. Apprendre ses rouages, ses enjeux locaux et politiques, son histoire – son origine remonte au XIVe siècle – et surtout la fierté que ce folklore provoque chez ses protagonistes. Le Doudou commence officiellement un jeudi (en mai ou juin, selon l’année) et se termine le Dimanche de la Trinité avec comme point d’orgue le Combat sur la Grand-Place, appelé le « Lumeçon », qui oppose Saint Georges au Dragon. Le destin de la Cité n’est pérennisé qu’avec la victoire de Saint Georges. L’enjeu est donc de taille.
Arthur Rémy est journaliste à La Voix de Mons. Comme tout Montois qui se respecte, il profite de la période du Doudou pour voir du monde. Mais l’heure n’est pas trop aux réjouissances. Tout d’abord, son fils – parti vivre à Lyon avec sa mère – ne pourra être présent à cause de ses examens. Ensuite, l’ambiance est quelque peu maussade quinze jours avant le Dimanche de la Trinité. La Ville est en émoi car elle vient de perdre son héros local : Gabriel Degand, qui joue le rôle de Saint Georges depuis des années, est mort. Arthur apprend par son ami policier, Didier Renuart, que sa mort est suspecte : Gabriel aurait été empoissonné. Didier demande à Arthur de s’infiltrer auprès de la Communauté du Lumeçon comme envoyé spécial pour récolter des témoignages et peut-être démasquer l’assassin. Rapidement, le journaliste parvient à s’octroyer les bonnes faveurs de Catherine Maton, la réalisatrice du Combat. En effet, pour les ignorants que nous sommes, il faut savoir que le Combat se prépare des semaines en amont, voire des mois, et est minutieusement écrit, geste après geste, intervention après intervention. Chaque acteur a un rôle bien défini (Diables, Chins-Chins, Hommes blancs, Hommes de Feuilles, Pompiers, Policiers, Cybèle…). Les règles sont strictes : n’importe qui ne peut pas rejoindre la Communauté et devenir acteur, et encore moins prétendre au titre de Saint Georges.
Les jours s’enchaînent au rythme des interviews d’Arthur. Le jour J, celui du Combat, approche. Peu à peu, le journaliste apprend à connaître toutes les ficelles du Combat. Mais cette Communauté du Lumeçon n’est pas facile à aborder. Il apprend l’existence de la confrérie « Monseigneur Saint Georges », un club très fermé dont font partie quelques acteurs. Il rencontre différents protagonistes, occasion pour lui de dresser leur portrait pour La Voix de Mons et surtout de percer leurs secrets. Gil, le fils de Gabriel, succède tout naturellement au rôle de son père, au grand malheur d’autres candidats au titre. La dynastie des Degand devrait perdurer encore longtemps. Mais c’est sans compter sur les actions d’un mystérieux « Dragon déchaîné ». Ce dernier envoie des e-mails anonymes à Arthur pour le menacer et lui demander d’aller fouiner ailleurs, et à la police pour la prévenir que cette année le Dragon terrassera Saint Georges. L’étau se resserre. Le destin de Mons est en jeu. Qui est prêt à tout pour arriver à ses fins, à savoir récupérer le rôle de Saint Georges ? À quelques jours du Combat, la tension monte. Arthur et Didier parviendront-ils à déjouer les plans machiavéliques du Dragon déchaîné ? Comment réussir un meurtre parfait un jour de grande affluence, pendant le Combat, devant des milliers d’yeux ?
Par ce premier roman, Effel, de ses vraies initiales « F.L. », nous propose une intrigue policière rondement menée, au cœur d’un événement historique et folklorique de notre Patrimoine. Le lecteur reste en haleine du début à la fin et apprend avec beaucoup de curiosité tous les détails de cette organisation. Ce récit ne pourrait assurément n’être que l’œuvre d’un Montois ou d’un historien spécialiste du Doudou. Effel, journaliste et chargé de communication à la Ville de Mons, connaît son sujet et son enthousiasme nous contamine rapidement. Il a imaginé une construction narrative intéressante. Par un jeu de rebonds dans le temps, les chapitres entre le Jour J – c’est-à-dire celui du Combat – et les jours qui précédent le Combat s’alternent. Suivre une intrigue policière dans le chef d’un journaliste, plutôt que d’un policier, est un petit plus non négligeable.
Émilie Gäbele