Un coup de cœur du Carnet
Christine VAN ACKER, La Bête a bon dos, José Corti, coll. « Biophilia », 2018, 190 p., 18 €, ISBN : 978-2-7143-1203-7
À la fois atypique et militante inconditionnelle du parti de la vie dans tous ses états, Christine Van Acker use de nombreux registres pour assumer sa créativité et servir sa vision du monde. À partir d’un amour aussi tenace que trop souvent déçu pour son espèce, ses gammes vont de l’humour et de l’autodérision à l’ironie positive, à la parabole futée et jusqu’au surréalisme d’une éclairante excentricité. Avec La Bête a bon dos, l’exploration de l’univers animal la met en vacances de l’humain – enfin, presque… Avec pour carburant la vertu cardinale des vrais découvreurs : le perpétuel étonnement. Mais, est-ce pour nous effrayer qu’elle mobilise presque d’entrée de jeu le microscope et le jargon savant du bio-généticien pour évoquer la résistance du « royaume du vivant » face à « l’empire de l’inanimé » ? « L’eucaryote ne comprendra jamais comment un procaryote, tout à la joie de laisser son ADN barboter nu comme un ver, accompagné de nombreux ribosomes dans un bain cytoplasmique partagé, arrive à survivre sans la protection des parois du Noyau. » Encore faut-il préciser que « Le domaine des eucaryotes (…) regroupe tous les organismes unicellulaires ou pluricellulaires qui se caractérisent généralement par la présence d’un noyau et de mitochondries dans leurs cellules ».
Pas de panique, l’œil de la dame pétille de complicité enjouée avec l’air de nous glisser : ce message barbelé de grec, c’était un peu pour rire, même si c’est dit et même si c’est vrai. Du reste, elle nous rassure vite en passant par François d’Assise et le Livre de la Sagesse pour déboucher sur son principal terrain d’action : le morceau de Gaume où elle a élu domicile. Et nous voila inscrits, avec loupe et sans ardoise, à son école buissonnière. Pour partager des rencontres personnelles, intimes et pittoresques avec les vedettes d’un bestiaire et d’un herbier déclinés au fil des jours et des saisons. Chemin faisant, le décor champêtre s’enrichit aussi d’une multitude de textes extraits du patrimoine littéraire et scientifique, de Montaigne ou saint Augustin à Linné, Fabre, Lacarrière ou Asli Erdogan, en passant par Colette, Jules Renard, Gide et beaucoup d’autres.
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Honneur à la sauterelle pour amorcer l’excursion (normal : c’était le surnom donné « dans sa prime jeunesse » à Christine Van Acker par ses parents bateliers). D’emblée, la méthode s’affirme : l’observation patiente et approfondie s’accompagne d’une recherche en toutes directions pour asseoir le statut scientifique, mais aussi culturel, emblématique ou même philosophique de la bestiole. Sans oublier surtout ce qui, en plus de la découverte, fait tout le charme et le suc de l’ouvrage : le rapport personnel, voire existentiel, de la promeneuse avec son sujet et les digressions savoureuses, parfois folâtres ou hardies mais toujours signifiantes et assaisonnées d’un humour indéfectible, (le plus précieux : celui qui s’apparente à l’humour de la vie). Sans détailler évidemment le cortège animalier, une mention spéciale s’impose pour le plus modeste (par la taille), le Tardigrade, minuscule « ourson d’eau » qui, sous le microscope, apparaît comme « un sac d’aspirateur muni d’un groin et de huit pattes terminées par des griffes non rétractiles». Description parlante avalisée par l’illustration flottant sur la couverture racée, propre à la belle collection Biophilia de Corti.
L’homme toutefois, n’est pas absent de ce bestiaire, fût-ce pour évoquer les caprices de sa cruauté, tels ceux d’Auguste II de Pologne dit « le Fort » qui battit le record du « lancer de renard » consistant à catapulter mortellement le plus grand nombre d’animaux. (Le score royal enregistré pour ce concours rafraichissant : six cent sept renards en plus d’un carnage de près de sept cents représentants d’autres espèces.) In fine, autre évocation plus positive et malicieuse, affectueuse aussi, celle de deux grands animaux de compagnie : un mâle adulte et un petit de dix-huit ans et de même sexe, « dont les conflits de territoire sont parfois pénibles, ainsi que leurs querelles au sujet des quantités de nourriture ». Ce qui n’empêche pas leur hôtesse et vivandière de se voir comme « l’huile qui permet aux engrenages de la ménagerie de ne pas se gripper ».
Ghislain Cotton