Dans l’intimité familiale des koalas

Un coup de cœur du Carnet

Anne HERBAUTS, Les koalas ne lisent pas de livres / Les grizzlis ne dorment qu’en hiver, Esperluète Éditions, 2018, 64 p., 18 €, ISBN : 9782359840957

Ce n’est pas un mais deux albums d’Anne Herbauts que publie l’éditeur belge Esperluète. Ou, plus exactement, deux livres en un seul et singulier objet : un livre à deux entrées, qui, par un habile jeu de reliure, se lit de façon telle que, lorsqu’on en termine un et qu’on le referme, on se trouve face à la couverture de l’autre. Fidèle à son habitude, Anne Herbauts joue avec la matérialité du livre en en créant deux dos-à-dos (l’un dédié aux mamans et aux papas, l’autre aux papas et aux mamans). Et comme d’habitude, le dispositif adopté fait pleinement sens.

Ces deux albums se répondent, se complètent. À la première lecture, ils paraissent très simples dans leur narration. Les koalas ne lisent pas de livres présente sur chaque page de gauche un nom commun lié à la vie familiale, illustré sur la page de droite : des pommes de terre, le cartable, une cafetière, le téléphone, un bouton, un livre… Chacun est illustré par une petite scène du quotidien qui montre un enfant et un parent koala. Le titre de l’ouvrage suggère une seconde lecture : des livres, il y en a dans chaque illustration. En fait, si maman ou papa koala ne lit pas, n’aimerait-elle/il pas le faire ? Probablement n’en a-t-elle/il pas le temps, puisque nous la/le voyons occupé/e à bien d’autres choses, entre tâches ménagères, trajets et jeux avec petit koala. Dans Les grizzlis ne dorment qu’en hiver, c’est un verbe qui donne lieu à chaque scène familiale : se chausser, surprendre, conduire, dîner, plonger, border et… lire (une histoire à petit grizzli au moment d’aller au lit). Parent et enfant grizzli sont différenciés par leur taille, mais aussi par les cernes sous les yeux de l’adulte. Papa/maman grizzli aurait-il/elle besoin de dormir un peu plus ? Probablement n’en a-t-il pas l’occasion.


Lire aussi : Anne Herbauts, quelque part entre les pages (CI. 192)


Ce qui frappe dans ce double ouvrage, c’est la justesse des scènes quotidiennes croquées par l’autrice. Ce mélange de tâches domestiques et de jeu, la tendresse des rapports parents-enfants, tout sonne vrai. En dévoilant l’intimité familiale d’animaux très humanisés, l’autrice-illustratrice invite enfants et parents à interroger le quotidien et leurs rapports. Au final, elle raconte la parentalité contemporaine, entre désir de temps à soi, fatigue et nécessité de s’occuper du ménage comme de s’amuser avec des enfants jamais à cours d’idées ni d’énergie. Car le jeu est omniprésent, comme le sourire permanent des koalas et des grizzlis.

Tout est ici épuré, texte comme illustrations. Anne Herbauts mélange les techniques, utilise le trait comme le collage, dessine avec le blanc de la feuille. À l’inverse de sa précédente parution, Une histoire grande comme la main (Casterman, 2017), dans lequel elle travaillait des textes plus longs et élaborés, Herbauts choisit des mots isolés, et en joue à la manière d’un imagier. Elle veille à créer entre texte et image des tensions qui ouvrent de nouvelles interprétations.

Un double ouvrage faussement simple, charmant, touchant, ravissant, amusant, qui intéressera les petits (dès 3 ans) comme leurs parents, à qui l’on rend ici hommage.

Fanny Deschamps