La nature : grimoire ou miroir ?

Thierry-Pierre CLÉMENT, Approche de l’aube, préface de Jean-Pierre Lemaire, Ad Solem, 2018, 119 p., 19 €, ISBN : 978-2-37298-096-8

Retour délibéré aux fondamentaux de l’existence, la poésie de Thierry-Pierre Clément octroie au monde naturel une préférence souveraine : montagne, forêt, oiseaux, horizon mer-ciel, lumière du jour, jeux du vent, nulle attention n’étant accordée à la modernité urbaine ou technique. Tous ces éléments de la nature primitive, empreints de familiarité autant que de mystère, il s’agit pour le poète d’en guetter les signes les plus ténus, de les accueillir en lui, d’explorer les sentiments et les questions qu’ils lui inspirent. « Il est bon d’appartenir à la terre », écrit-il, ou, devant le spectacle d’une glycine, « stupéfait de recevoir ce matin / tant de merveille imméritée ». Ainsi une relation à la fois constante et dissymétrique s’exerce-t-elle entre le Dehors et le Dedans, assignés respectivement aux rôles de dispensateur et de bénéficiaire, mais sans exclure un profond désir de communion, sinon même de fusion : « laisse-la devenir toi / et toi / deviens la rose », « et nous laissons la mer / entrer dans notre cœur ». Même si elle n’est pas explicitée, la dimension spirituelle de cette poésie ne laisse guère de doute : évocation brève de thèmes tels que l’attente, l’espoir, l’éternité, sans oublier cette voix « qui habite au fond de notre cœur / mais est plus vaste que notre cœur ». Ainsi la relation nature-poète forme-t-elle le parfait réceptacle d’une foi en devenir.

Les grands inspirateurs de Thierry-Pierre Clément sont connus : le philosophe-naturaliste Henry-David Thoreau (1817-1862), Gary Snyder lié à la Beat Generation, l’Écossais Kenneth White qui fonde en 1989 l’Institut de « géopoétique ». Parmi leurs préoccupations principales figure le rejet d’une société bureaucratique, machiniste, obnubilée par le profit, destructrice de la biosphère. Il s’est accompagné quelquefois d’un militantisme virulent, promouvant par exemple la désobéissance civile ou l’anarchisme. Mais le recueil de Thierry-Pierre  Clément n’en retient que le côté contemplatif et individuel. Son propos est tout entier sous-tendu non par la figure de la lutte mais par celle de l’accord : accord recherché avec soi-même, avec la nature environnante, avec les proches – dont les dédicataires de plusieurs poèmes. Certes, cet idéal reste largement hors d’atteinte : « où donc ta certitude ? » (p. 85), « aucune réponse » (p. 87), « c’est l’attente qui est magnifique ». Mais jamais n’est mis en doute le bien-fondé de la quête : nous sommes du côté de l’insatisfaction, non du porte-à-faux. « Monter vers la source / sans relâche » dit la première page, et la dernière : « ainsi nous remontons / jusqu’à la source ». Le recueil est bouclé, tout comme la relation spéculaire entre le poète et la nature.

Daniel Laroche