Marie Peltier. Analyse du complotisme

Marie PELTIER, Obsession. Dans les coulisses du récit complotiste, Inculte, 2018, 146 p., 15,90 €, ISBN : 979-10-95086-89-5

Après L’ère du complotisme : la maladie d’une société fracturée (Les petits matins, 2016), l’historienne, la chercheuse et l’enseignante Marie Peltier approfondit son étude des récits complotistes à partir  de polémiques paradigmatiques comme l’affaire Tariq Ramadan, la question de la laïcité, du port du voile (dans l’affaire Mennel notamment), Charlie Hebdo, @metoo, @balancetonporc… Au fil d’une enquête sur les dérives des débats publics figés entre camps ennemis, l’essai questionne la montée en puissance des réseaux sociaux, les stratégies de guerre narrative, la structuration de l’imaginaire collectif par ce que Marie Peltier nomme des récits polarisés. Comment sortir de débats publics qui, enfermés dans la binarisation et relevant non de l’agora mais de l’arène et d’une scène paroxystique de guerre, se détournent de l’universalisme ? L’événement du 11 septembre 2001 a marqué l’entrée dans l’ère du doute, de la rupture de confiance dans le discours officiel et généré un imaginaire du complot. Cet imaginaire bicéphale, Marie Peltier le définit comme civilisationnel et identitaire d’une part, comme anti-système et anti-impérialiste d’autre part. Défiance envers le discours public et médiatique et désillusion à l’égard des promesses de la démocratie vont de pair.

La logique conspirationniste qui fleurit et que les réseaux sociaux ne cessent de nourrir se caractérise pour Marie Peltier par le refus d’accorder crédit aux versions instituées des faits et par la croyance en un sens caché, en l’agissement de coupables masqués agissant dans l’ombre en tirant les ficelles. S’il ne fait aucun doute que la hantise complotiste peut mener à une montée aux extrêmes rendant impossible tout dialogue entre deux camps adverses, si « cette dynamique à la fois binaire et essentialisante » étouffe l’affirmation de propositions constructives, il faut rappeler que la mise en doute des versions officielles, de la propagande des médias a été et est toujours le levier de l’esprit critique. Dans les pages consacrées à l’analyse des récits de l’intervention en Libye notamment, on a parfois le sentiment que diagnostiquer telle ou telle interprétation des faits comme symptôme d’une thèse complotiste permet de les discréditer. L’étiquette « complotiste » a pour conséquence de délégitimer les thèses alternatives qui refusent les grandes messes officielles. Rien de plus facile dès lors que d’attribuer cette épithète afin de décrédibiliser des grilles d’analyse qui vont au-delà du récit imaginaire, de la projection de fantasmes. À trop pointer les dévoiements de ce qu’on voit comme complotisme, on fragilise l’émergence de positions critiques.

Face à l’enlisement de débats publics régis par « l’accusation mutuelle de « fake news » », Marie Peltier en appelle à la mise en œuvre d’une pluralité de récits, à « une réhumanisation des enjeux de société ». Il nous faut en effet sortir de ce qu’elle nomme justement « la guerre des haines », sortir de la spirale de la violence dans laquelle s’enlise un dialogue de sourds.