Amours contrariées

Pierre CORAN (texte adapté de William Shakespeare) et Charlotte GASTAUT (illustrations), Roméo et Juliette, Flammarion jeunesse / Père Castor, 2018, 14€, 32 p., ISBN : 9782081373143

Sous quelle forme aborder certains textes du patrimoine théâtral avec les enfants ? Que montrer lorsqu’il s’agit de tragédies dont ils ne sont au départ guère le public cible, mais qu’il faudra néanmoins illustrer ? Au sein des éditions Père Castor, en matière d’adaptations, on peut se fier sans sourciller au duo formé par le poète et romancier montois Pierre Coran et l’illustratrice Charlotte Gastaut. En 2015, ils s’étaient déjà tous deux attaqués, pour la même maison d’édition, à l’opéra de Mozart avec un livret de Schikaneder : La Flûte enchantée, autre récit où l’amour se voit contrarié. En 2008, pour Gautier-Languereau, c’est une histoire originale de Pierre Coran qui les avait réunis : Le Prince Hibou. Une façon de poser les bases de leur penchant commun pour les contes et le merveilleux grâce à une fantaisie où un château de gruyère dévoré par les rongeurs ne pourrait trouver de salut que grâce à l’intervention d’un rapace nocturne, pour peu qu’une princesse passe avec lui un marché nuptial.

Cette fois, c’est rien moins qu’une des romances les plus lacrymales jamais écrites qui les voit à l’œuvre, le Roméo et Juliette emblématique de William Shakespeare. Le terreau d’une des rivalités les plus absolues et des vengeances les plus cruelles, également. À Vérone, siègent les Montaigu et les Capulet, toujours à couteaux tirés. Quand arrive l’occasion d’un bal, Roméo espère bien séduire Rosaline, qui jusque là ne s’amourache de personne. La famille de Juliette, elle, met tous ses vœux dans la rencontre entre Pâris et leur fille. Quant à Charlotte Gastaut, elle déploie les fastes d’une maison à plusieurs étages perchée sur eaux, où brocart bleu des uns et organdi rouge des autres ne se mêlent guère. Sur les pages de gauche, là où réside le texte limpide de Pierre Coran, ce sont des dessins de plus petite taille, noir et blanc rehaussés d’or qui s’installent, observations complémentaires sur l’histoire en train d’être vue et dite. On y trouve quantité d’oiseaux, témoins de la tragédie en cours et des quant-à-soi des personnages.

Rebondissement dans le plan de départ, il y a, bien sûr. Juliette aux délicates ailes de papillon  n’aurait pas dû croiser Roméo sous son masque, car un sentiment naissant déjà, s’empare d’eux: « Pourquoi faut-il que cet amour qui naît en moi me soit interdit ? ». Les promis maudits rejouent la scène du balcon entourés de feuilles d’arbres, en touches fines, qui se déploient sur la double page où la nuit et le jour s’entremêlent. Quand viendra leur mariage ultrasecret, ce sont les fleurs qui jailliront par-dessus leurs têtes. Survient une prise d’armes mortelle, puis l’exil de Roméo : hauts et vifs sont les fanions des deux camps, comme les plumes dont ils sont coiffés.

Comme nous, vous connaissez la suite de l’histoire. Mais nous ne voudrions pas trop gâcher le plaisir d’une (re)découverte que vous pourriez faire avec vos enfants (dès 7 ans). Nul doute qu’avec un texte ni trop complexe ni trop désossé, et ces illustrations où le regard peut s’attarder autant sur les couleurs que sur l’architecture labyrinthique ou sur les détails, Roméo et Juliette fera désormais partie de leur imaginaire.