Fabien GROLLEAU et Jérémie ROYER, HMS Beagle, aux origines de Darwin, Dargaud, 2018, 176 p., 21 € / ePub : 9.99 €, ISBN : 978-2205077063
Fabien Grolleau et Jérémie Royer, qui nous avaient déjà régalés avec leur roman graphique sur le naturaliste du XVIIIe siècle Jean-Jacques Audubon (cité juste comme un petit clin d’œil à la p. 144), ont remis le couvert et nous offrent un nouvel opus, consacré cette fois à un autre grand naturaliste : Charles Darwin.
Le titre du livre indique bien comment le sujet a été circonscrit : il s’agit du voyage initial et initiatique que Darwin fit pendant cinq ans – de 1831 à 1836 – à bord d’un navire chargé d’une mission scientifique de cartographie générale.
Et on en apprend de belles !! Pour un peu, Charles Darwin, alors étudiant et âgé de 22 ans, n’embarquait pas à bord du HMS Beagle…
Pour un peu, ayant finalement embarqué, il se serait contenté de recueillir une collection de curiosités…
Pour un peu, … le monde aurait été privé de sa célèbre théorie sur l’évolution des espèces.
Sur le bateau, Darwin, invité d’honneur du capitaine Fitzroy qui tenait à avoir un interlocuteur cultivé à bord, rencontre « les trois sauvages de Fitzroy » et découvrira peu à peu, comme le lecteur, le destin d’indigènes de la Terre de Feu, précédemment achetés à leurs familles pour un bouton ou une autre babiole, emmenés en Angleterre pour y être civilisés et maintenant ramenés, à bord du HMS Beagle, pour y être redébarqués dans leur terre d’origine où ils seront chargés de répandre les bienfaits de la langue et de la culture anglaises. Darwin demeurera plusieurs semaines en Patagonie à y observer le mode de vie des Fuégiens, qui peuvent passer à l’époque pour les premiers hommes de l’humanité.
Pendant ces cinq années, Darwin a principalement exploré des contrées terrestres – les îles du Cap-Vert, les côtes du Brésil, d’Argentine, … – entre deux retours au bateau pour gagner d’autres pays.
Au fil de ses observations, il rassemble des milliers d’échantillons – ders minéraux, des plantes, des insectes, des squelettes de dinosaures – qu’il expédie au fur et à mesure en Angleterre. Il découvre aussi l’horreur et la brutalité de l’esclavagisme et ne craint pas de s’y opposer explicitement ; il se retrouve écartelé entre sa détestation de la cruauté des pratiques sociales – et du génocide en cours contre les Amérindiens – et un émerveillement à l’état pur face à la beauté et à la profusion de la nature qu’il découvre.
Ses observations sur le terrain l’amènent logiquement à réviser les données fixistes enseignées à l’époque, comme celle de Cuvier en matière de géologie. Mais c’est dans les îles Galapagos qu’il va se rendre compte qu’il doit dépasser le stade de la « collection de curiosités» [1] quand un naturaliste amateur lui fait remarquer – ce qui lui avait échappé – les différences ténues mais systématiques entre ce qu’on n’appelait pas encore des sous-espèces.
En 1858, – retour sur la scène d’ouverture du livre –, Darwin, qui a fini de raconter son odyssée à ses enfants, reçoit un courrier d’Alfred Russel Wallace, un autre explorateur scientifique, qui lui soumet… sa théorie sur « la tendance des espèces à s’éloigner indéfiniment du type original » ; comme quoi, les grands esprits se rencontrent ; leur époque était prête accoucher du modèle non encore théorisé de l’évolution des espèces. Ce courrier poussera Darwin à publier ses propres conclusions (en 1859) de manière un peu précipitée car il estimait n’avoir pas encore suffisamment travaillé et étayé ses propositions.
Le récit est traversé de fils conducteurs dont les principaux sont, d’une part, le conflit – encore latent – entre ce que Darwin est en train de découvrir et le dogme de la lecture littérale de la Bible et d’autre part, le choc des civilisations entre colons et peuples indigènes ainsi que le scandale, alors presque unanimement accepté, de l’esclavage des Noirs.
Bref, 172 pages de découvertes à lire et à relire, … à s’acheter et à offrir tout autour de soi.
Petit bonus : pourquoi le mont Darwin s’appelle-t-il ainsi et depuis quand ? Rendez-vous p. 123.
Marguerite Roman
[1] À la p. 146, le déclic entre la « collection naturaliste » et l’ébauche d’une théorie de l’évolution des espèces. C’est génial, encore fallait-il y penser.